Le deuxième numéro varia de la revue GLAD! poursuit le projet d’ouverture interdisciplinaire à différentes approches des questions sur le genre, le langage et les sexualités.
La rubrique « Recherches » réunit quatre articles originaux portant sur des corpus constitués en France, au Royaume-Uni et en Suisse romande. Elle accorde également une place à part à la présentation de thèses récemment soutenues, de manière à contribuer à la visibilité de ce domaine de recherche en pleine effervescence. Les articles réunis dans ce numéro partagent un intérêt pour l’analyse critique des discours.
La contribution de Marie-Émilie Lorenzi prend comme corpus d’étude les discours activistes et militants féministes pour étudier de près la circulation du terme queer en France depuis les années 90, ses resignifications et réappropriations, mais également ses traductions alternatives comme transpédégouines ou torduEs. L’article analyse les batailles politiques menées dans le domaine du langage et ce que les lignes de front révèlent des dynamiques de construction identitaire, d’autodéfinition. Il permet d’ouvrir des réflexions sur les liens parfois paradoxaux entre pratiques linguistiques subversives mobilisant des catégories politiques transnationales et soumission à la domination symbolique de la langue anglaise.
La note de recherche de François Labatut concerne également des discours politiques, mais cette fois-ci tenus au sein des institutions gouvernementales du Royaume-Uni, plus précisément au sein du Parlement durant les débats qui ont précédé l’ouverture du mariage aux couples homosexuels en 2013. Son analyse se focalise sur l’émergence et la stabilisation de l’expression same sex marriage, devenue formule, qui a réussi à s’imposer face à des concurrentes comme gay marriage et homosexual marriage. L’auteur, à l’aide de méthodes d’analyse quantitative et qualitative, étudie la distribution de différentes collocations dans les discours des libéraux et des conservateurs pour mettre en évidence les clivages idéologiques qui ont traversé les discours tenus alors et structuré les débats.
Hélène Martin, Rebecca Bendjama et Raphaëlle Bessette-Viens s’intéressent dans leur travail à des discours institutionnels présentés comme apolitiques ; plus précisément des discours de sites web médicaux, basés en Suisse romande, faisant la promotion de différentes chirurgies d’amélioration des organes génitaux. L’article se concentre sur l’explicitation des représentations des sexes qui sous-tendent ces discours : les organes génitaux dits « féminins » sont présentés comme culturellement déterminés, à améliorer, à corriger en vue d’un épanouissement sexuel. Ainsi les femmes sont-elles appelées à « devenir soi », à se réaliser en choisissant de normaliser leur sexe. À l’inverse, les organes génitaux dits « masculins » apparaissent comme affranchis de ces contraintes culturelles. C’est principalement cette asymétrie et la façon dont celle-ci nourrit les discours médico-publicitaires que travaillent les auteures de l’article.
Enfin, Aurélie Olivesi se penche sur les discours des médias et propose une analyse de la construction contemporaine des rapports sociaux de sexe par les discours des éditoriaux de magazines féminins et masculins en France. Elle se focalise notamment sur la construction de la féminité et de la masculinité comme technologie de genre à la fois rodée par la tradition et mise à l’épreuve par les luttes féministes. L’analyse privilégie la mise en discours de l’évolution des rapports de genre, par des éditorialistes de magazines, à travers des dispositifs énonciatifs qui mettent en avant le caractère perçu comme réjouissant ou catastrophique de cette évolution et qui construisent différents niveaux de connivence avec leur lectorat. Cette analyse permet à l’auteure de déceler un nouveau clivage qui semble rendre compte d’une recomposition des différents discours de genre, au-delà de la dichotomie femmes-hommes, selon la place que prend la mise en scène de la confiance en soi et de l’aisance discursive matérialisée par l’énonciation ironique.
Dans la rubrique « Explorations », nous avons choisi de publier une bande dessinée originale qui se propose d’expérimenter de nouveaux formats de construction et de diffusion des savoirs. Cette bande dessinée est la mise en mots et en images par Tali Sujarei du résultat d’un travail d’abord universitaire : l’auteure, à l’issue d’un cours sur le féminisme décolonial, a choisi de rendre un article de recherche sous forme dessinée. L’originalité de cette production réside dans la création d’un « espace graphique de recherches » qui bouscule les normes rédactionnelles universitaires en même temps qu’elle offre un medium permettant de visibiliser la part du positionnement subjectif dans le travail de recherche.
Dans la rubrique « Créations », nous publions une nouvelle chanson des Eau’Rageuses enregistrée en live au format vidéo qui permet de rendre visible la performance du groupe, déjà présent dans le numéro 1 ; le texte écrit par Eli..., intitulé « Différent-e », accompagne la vidéo.
La même rubrique ouvre son espace à des créations visuelles : Lorraine Alexandre y expose une série de photos sous le titre Les Transparences. Par la mise en scène de postures stéréotypées, la série rend visibles les constructions corporelles des genres. L’auteure propose donc une réflexion sur l’art visuel et le vivant, et sur la possibilité de produire des discours sur l’identité par la représentation de corps en spectacle.
Aux trois rubriques « Recherches », « Explorations » et « Créations », créées dès le lancement de la revue, viennent s’ajouter les nouvelles « Chroniques » et « Actualités ».
« Chroniques » a vocation à accueillir de manière régulière des contributions brèves, rédigées ou rassemblées par la même personne au fil de plusieurs numéros. Daniel Elmiger lance ici la première livraison de sa chronique en deux volets intitulée Les genres décrits, les genres récrits. Dans le premier volet (Les genres décrits) seront principalement publiés des textes adoptant une posture critique vis-à-vis des descriptions normatives du genre grammatical et/ou en diffusant des analyses nouvelles. Le second volet (Les genres récrits) est plus explicitement centré sur les formes innovantes utilisées pour dénommer l’humain (pronoms, règles nouvelles / réinterprétées / déconstruites, etc.). Le premier billet, « Lisez la note de bas de page ! », est centré sur les notes explicatives attribuant un sens à certaines formes utilisées au sein d’un texte et permettant de contourner la rédaction inclusive (ou non sexiste), notamment au profit du masculin à valeur générique.
La seconde rubrique, « Actualités », accueillera des notes de lecture de publications récentes liées aux thématiques de la revue, en privilégiant les démarches novatrices, présentées dans des ouvrages rédigés en français. La première note de lecture proposée dans cette rubrique porte sur L’Encyclopédie critique du genre, dirigée par Juliette Rennes et publiée en 2016 aux éditions La Découverte. La rubrique « Actualités » accueillera également des résumés de thèses soutenues récemment dans le champ des études sur le genre et le langage. Elle est inaugurée dans ce numéro par la présentation, par leurs auteur.e.s, des travaux suivants : Audrey Benoit (philosophie, 2016) « Le matérialisme discursif. Pour une critique féministe de la construction idéologique du “sexe” » ; Kaja Dolar (sciences du langage, 2017) « Les dictionnaires collaboratifs en tant qu’objets discursifs, linguistiques et sociaux » ; Noémie Marignier (sciences du langage, 2016) « Les matérialités discursives du sexe. La construction et la déstabilisation des évidences du genre dans les discours sur les sexes atypiques » ; Grâce Ranchon (sciences du langage, 2016) « Une didactique de la langue, de la culture, et du genre. Le manuel de FLE : discours et réalisations » ; Damien Simonin (sociologie, 2016) « Le “travail du sexe” : genèse et usages d’une catégorie politique ».