Présentation du contexte scientifique des courts-métrages documentaires réalisés dans le cadre des Journées d’études
Dans le cadre de cinq journées d’étude intitulées Une chambre à soi : genres et corps en art tenues d’octobre 2015 à janvier 2016, la problématique de la politique des subjectivités a été abordée à partir d’une étude esthétique et philosophique des créations plasticiennes articulées selon les registres et les codes de l’art contemporain, ainsi que des pratiques artistiques militantes issues des subcultures et cultures populaires.
Ces journées d’étude faisaient suite à trois autres journées préalablement tenues en mars 2015, intitulées Genderqueer Workshop : Réflexion sur les corps contemporains à travers les arts, qui initiaient un premier temps de réflexion sur les corps contemporains à travers les arts.
L’ensemble de ces huit journées visait à provoquer échanges, partages et confrontations notionnelles et conceptuelles sur le sujet. Pour cela, a-t-on entrepris d’emblée la mise en place d’un réseau international d’historiennes, d’anthropologues de l’art, de spécialistes des théories féministes et queer, de spécialistes en iconologie et en études culturelles, et d’artistes plasticien.ne.s.
La diversité voulue des contextes épistémologiques d’analyse, des méthodologies et des analyses à proprement parler a fait beaucoup plus que nourrir et enrichir les échanges. Cette diversité s’est en effet révélée absolument nécessaire à l’approche de la question des corps contemporains dans les arts, dont le caractère polymorphe la rend irréductible à un point de vue unique.
Il s’agissait de confronter la production artistique à la littérature scientifique la plus récente produite par le féminisme et les études de genre, afin de dégager de nouvelles interrogations liées à la construction biopolitique du sujet (dans une perspective foucaldienne1) et à l’épistémologie du corps (Bernard Andrieu2), sans omettre la mise en question des normes sociales qui structurent et qui constituent le genre sur le plan social, psychique, corporel et sexuel (Christine Delphy 2001, 2002 ; Nicole C. Mathieu 1991 ; Paola Tabet 1998).
Notre programme de recherche étudiait la mise en question artistique des enjeux politiques, esthétiques et philosophiques de la construction des subjectivités dans la société contemporaine, s’inscrivant dans un contexte de tension idéologique en France et dans le monde autour des théories constructivistes du genre3, médiatisées dans l’espace public en tant que « la théorie du genre ». La somme des diverses communications et des ateliers de réflexion a permis d’observer comment les artistes et leurs œuvres rendent visible par son ébranlement, l’intrication complexe des processus de construction des sexes, des races, des classes, des sexualités, des genres et des corps.
Ces journées ont permis également de mesurer l’enjeu politique de cette visibilisation, en localisant d’une part les instances du pouvoir, et d’autre part les stratégies de résistance qui s’y opposent dans la création artistique et les mouvements militants. En appui sur les sciences philosophiques et les sciences de l’art, nous avons engagé une relecture critique des représentations artistiques qui participent à la constitution d’un imaginaire différentialiste clivant, formatant nos définitions du monde, des êtres et des choses, et donc, de nos perceptions/conceptions idéologiques des corps et des identités culturelles.
Les rapports de pouvoir entre les genres, les races, les nationalités, les classes sociales, les pratiques religieuses et les sexualités constituent l’actualité complexe des sujets contemporains et les génèrent, en conséquence, comme les véhicules de l’intelligence collective aujourd’hui.
Généalogie du projet
En mars 2015, comme indiqué plus haut, se tenait le premier volet de journées d’études intitulé Genderqueer Workshop : Réflexion sur les corps contemporains à travers les arts. Il était organisé par une équipe interdisciplinaire de chercheur.se.s du département Arts de l’Université de Lorraine (UFR Arts, lettres et langues - Metz), du Centre de Recherche sur les Médiations (CREM - équipe de recherche Praxitèle) et du Laboratoire Lorrain de Sciences Sociales (2L2S). Notre volonté théorique et pédagogique d’interdisciplinarité pour l’approche de notre sujet en a donc appelé à croiser l’iconologie, les études littéraires françaises et anglaises, et l’étude des pratiques artistiques (militantes ou non), avec la pensée des féminismes, des théories queer et des études de genre. Échanges et débats furent menés à la suite des communications sur : les textes poético-politiques de Virginie Despentes (Alexandra Giraud) ; la philosophie de Michel Foucault à l’épreuve du genre (Marie-Aimée Lebreton) ; les stéréotypes et la stigmatisation des corps dans la pornographie (Lionel Renaud) ; les performances et les vidéos post-pornographiques (Claire Lahuerta et Émilie Landais) ; les mutations corporelles dans les œuvres de Matthew Barney (Aurélie Michel) et chez les artistes transgenres (Luc Schicharin) ; la figure du monstre féministe/queer dans la bit lit4 (Gaïane Hanser) ; la tension entre praxis militante et théories féministes et du genre, au sein du groupe d’action féministe français La Barbe (Anne-Laure Vernet) ; l’utilisation de la nudité et de la sexualité dans la performance, comme résistance au néo-capitalisme dans les collectifs queer comme Zarra Bonheur en France ou Quimera Rosa à Barcelone (Sam Bourcier) ; la pratique plasticienne d’une artiste mosellane (Violaine Higelin) et d’étudiant.e.s en arts plastiques (Delphine Harmant, Naura Kassou, Lola Moreau, et Maxime Notin).
La discussion théorique conduisit vers un recentrement des problématiques communes à la pensée féministe/queer et aux pratiques plasticiennes autour de la notion de corps en tant que « chambre à soi ».
Le corps (dé)genré comme « chambre(s) à soi » dans la création artistique contemporaine
C’est ainsi que d’octobre 2015 à janvier 2016, notre équipe scientifique a organisé un second volet de journées d’études intitulé Une chambre à soi : genres et corps en art. Des spécialistes du champ, en provenance de diverses universités européennes, étaient invité.e.s à poursuivre et compléter les analyses et les hypothèses qui avaient été émises lors de la précédente session autour de la problématisation de la pratique artistique et des représentations iconographiques par les réflexions féministes, les théories queer et les études de genre, et réciproquement, de ces mêmes réflexions et théories par la pratique artistique.
Partant de l’idée foucaldienne selon laquelle le pouvoir appelle la résistance, nous avons suggéré que, par delà l’assujettissement du sujet, le corps apparaissait en art comme une « chambre à soi », une zone d’autonomie temporaire (Hakim Bey5) dans notre monde contemporain ; cette spatialisation politique de l’anatomie relevait d’une volonté de comprendre les modes d’action et les stratégies de lutte du sujet face au biopouvoir à travers les usages performatifs de la nudité, de la sexualité, du corps, de l’identité, de l’expérience sensible, ou de l’émotion critique. Le motif de la chambre appliqué au corps prolonge l’affirmation féministe selon laquelle « le privé est politique », il poursuit l’intuition de Virginia Woolf (Une chambre à soi, 1929), selon laquelle, sous certaines conditions, il procure un espace de libre création aux femmes et, par extension, à d’autres sujets, dits minoritaires. Cet élargissement participait en tout cas de l’hypothèse que nous souhaitions aborder lors du second cycle de journées d’études. Mais la chambre impliquait aussi une pratique de soi sans limite, avec sa chair, ses organes, ses orifices et ses plaisirs, à l’image de Guillaume Dustan (Dans ma chambre, 1994). Ainsi, détachée de la conception immobilière usuelle que l’on s’en fait, mais aussi s’inscrivant dans une logique qui va à l’encontre de la psychanalyse freudienne qui pensait que l’art était une sublimation du sexuel, la thématique de la chambre suggérait un lieu idéel où peuvent se confondre la créativité artistique et la vie corporelle, jusqu’à l’entremêlement, dans l’exaltation et/ou dans la révolte. De fait, le corps, la sexualité et l’identité, en tant que constructions subjectives à partir d’une anatomie politique6, de structures psychiques, d’acquis sociaux et de prothèses technologiques, ne peuvent-ils pas eux aussi être questionnés comme les toutes premières chambres à soi ?
Ces journées d’études ont en effet permis d’interroger : la possibilité de constituer une communauté de résistance à travers l’activisme cinématographique queer et féministe chez Lizzie Borden, Marlon Riggs et Lana Wachovski (Peggy Pierrot) ; le sang menstruel comme construction sociale de la différence des sexes, de l’hétérosexualité et de la valence différentielle des sexes (Lourdes Mendez) ; le corps et la sexualité comme armes, paroles, et résistance plurielle dans l’œuvre « pornoterroriste » de Diana J. Torres (Karine Bergès) ; la performance collective, dans sa capacité à résister au néo-capitalisme au regard des expropriations subies par les collectifs queer comme Atlantide, dont les résident-e-s ont récemment été expulsé.e.s de force par la municipalité bolognaise (Sam Bourcier) ; la pratique autobiographique ou autofictionnelle comme espace artistique et de mise en jeu de l’émotion pour une réflexivité sociétale (Camilla Graff) ; l’esthétique et la politique de résistance à la représentation, via les techniques de floutage dans les portraits photographiques de sujets transgenres/queer réalisés par J. Jackie Baier (Eliza Steinbock) ; les politiques croisées d’oppression raciste et sexiste à l’encontre des femmes immigrées en Europe, déployées dans l’espace à la fois disciplinaire et de non-droit de la chambre à coucher, à travers l’œuvre de Hristina Tasheva (Annie Ferrand) ; la réappropriation émancipatrice des instruments de contrôle et de subordination des corps dans la création plasticienne actuelle (Violaine Higelin et Anthony Marquelet).
L’ensemble des discussions scientifiques et des performances, qui furent données lors de ces journées, nous amenèrent à répertorier plusieurs techniques de corps7, élaborées à partir d’actions militantes/artistiques qui, créant des espaces expérimentaux, renégocient le périmètre de surveillance établi par le pouvoir. Ces recherches à la fois théoriques et créatives génèrent des « chambres à soi », des périmètres d’explorations temporaires pour les sujétions/les assujettissement non-anticipées et à contre-courant, susceptibles de générer une pensée, une subjectivité, un corps, voire un peuple critique qui bousculent, voire renouvellent les normes sociales. Toutefois, il a aussi été démontré que le relâchement de la vigilance n’était pas possible en ces espaces alternatifs, dans la mesure où les foyers de résistance demeurent très vulnérables à la répression, à l’invasion et à la destruction ou aux expropriations et aux réappropriations par le pouvoir politique.
Les travaux présentés au cours de ces journées d’étude et les échanges qu’ils ont occasionnés ont donc permis d’affiner la réflexion engagée et de faire apparaître des points de focalisation des enjeux, tout en confirmant la nécessité de maintenir un processus de recherche sur les questions concernant la pleine actualité des corps contemporains en art.
Présentation des choix de réalisation des courts-métrages documentaires réalisés dans le cadre des Journées d’études
La vidéo en partage numérique comme support de diffusion scientifique : la recherche à l’ère du web 2.0
Les courts-métrages vidéographiques présentés ici ont pour vocation de documenter de façon abrégée et synthétique les interventions données lors de journées d’études tenues à l’Université de Lorraine, en partenariat avec le Frac Lorraine et l’Arsenal, entre octobre 2015 et janvier 2016 : Une chambre à soi : corps, genre et art.
Ces montages courts sont issus d’un type de tournage qui relève du plus simple dispositif, à savoir la captation audiovisuelle des communications et des débats.
Cette captation a été autogérée par nous, porteur.se.s du projet, avec des moyens limités du fait de l’affaiblissement des soutiens financiers et humains qui traversent actuellement le monde universitaire. Aussi avons-nous dû, tout en travaillant à la conduite scientifique des journées d’études, nous occuper de la mise en œuvre de la captation. Bien que du matériel ait été mis à notre disposition, il s’agissait d’un équipement difficile à manipuler et peu adapté à un projet d’enregistrement mobile qui devait suivre les différentes interventions au fil des lieux où elles avaient lieu : le Frac Lorraine, l’Arsenal (Metz) et le site de Metz de l’Université de Lorraine. Ces conditions de travail nous ont amené.e.s à adopter une posture esthétique et politique relevant du cinéma militant, inspirée en particulier par le cinéma féministe de Carole Roussopoulos, initiatrice de référence d’une pratique militante de filmage et de réalisation, sans intervention extérieure, en totale autonomie. En l’absence de moyens de tournage professionnel et de personnel de soutien, nous avons donc choisi de réaliser les captations des communications et des débats par nos propres moyens, plutôt que de ne pas tourner. En cohérence avec cette démarche militante où le message prévaut sur son adéquation aux normes formelles, notre démarche d’écriture audiovisuelle s’est détournée d’une réalisation pensée comme un produit télégénique ou comme une œuvre d’art réservée à une diffusion confidentielle. C’est bien une volonté de partage et de transmission des savoirs qui a animé notre geste filmique. Ce qui situe notre travail dans un tressage que nous pensons fructueux, entre la recherche universitaire et une action militante, dont la plupart des chercheur.se.s sur les questions de genre et sur les questions féministes sont issu.e.s ou à laquelle i.els appartiennent encore.
Ces courts-métrages répondent à un cahier des charges préalablement établi dans le cadre d’un projet soutenu par la MSH Lorraine (Maison des Sciences de l’Homme), et participent d’une volonté de diversifier les formats et les supports de la recherche universitaire afin de renouveler la diffusion des savoirs académiques. La production vidéographique de discours scientifiques n’étant ni une fin en soi, ni leur format académique, qui est le texte ou la communication orale, il était important de penser le support de diffusion : c’est ainsi que nous avons souhaité travailler avec une revue numérique qui propose un accès gratuit à la production de connaissances dans l’espace virtuel démocratisé d’Internet. En lien avec un tel projet de diffusion, l’enregistrement sonore et audiovisuel de l’ensemble des rencontres, séminaires, et ateliers, avait été pensé d’emblée dans une finalité triple : de constitution d’archives, de création d’outils partagés et de préparation à des restitutions documentaires.
Aussi, ces courts-métrages de trois à sept minutes répondent-ils à cette triple finalité, à savoir documenter et partager la teneur des discours des intervenants, en en mettant en avant certains éléments choisis. Car il s’agit bien ici du montage d’extraits choisis de communications orales, dont la durée réelle était de une heure à une heure et demie. Ces extraits ont été montés de façon à rendre intelligible l’un ou l’autre des axes de réflexion de l’intervenant.e, sans nécessairement suivre l’ordre réel d’arrivée des arguments. Nous avons choisi d’adopter un montage brut, sans aucune volonté de diriger/contrôler les discours et les images par le découpage, notre objectif étant au contraire d’éviter, autant que possible, l’emprise autoritaire du montage audiovisuel sur la parole des intervenant.e.s tenue lors des journées d’étude. La postproduction a ainsi été pensée et menée dans un effort de restitution des discours et de la construction théorique des spécialistes invités. Le travail de sélection nous a permis de considérablement raccourcir la durée des interventions dans la restitution vidéographique que nous proposons aujourd’hui ; il a été accompli dans un souci de lisibilité tenant compte des pratiques des usager.e.s de la navigation sur Internet, et dans un souci de fluidité quant à la réception de la pensée exposée par les différent.e.s spécialistes. C’est également dans cette optique de clarté que nous avons choisi de ne pas entrecouper la restitution vidéographique des interventions des différentes conférencièr.e.s avec des séquences qui présentent les réactions de l’auditoire ; avec de si brefs formats, la restitution d’échanges avec le public aurait brouillé la construction sémantique du propos.
Du fait de notre engagement méthodologique et éthique, notre position de réalisateur.trice — délibérément en retrait — a exigé de travailler la postproduction de façon à ce que le montage ne se présente pas comme une réappropriation ou une instrumentalisation des discours formulés par les invité.e.s qui nous avaient par ailleurs autorisé.e.s à filmer leur communication lors des journées d’études. La réalisation, entremêlant une démarche d’écoute et de restitution, se tient sur le fil du désengagement de notre part d’une posture d’auteur.e, d’une forme audiovisuelle qui nous présenterait comme les détenteurs.trices ou comme les médiateurs.trices de la parole et des idées exprimées à l’image. Cette posture concorde avec le fait que, avec ce que nous pourrions aussi appeler ces « synthèses vidéographiques de communications scientifiques », il ne s’agit en aucun cas de proposer un état de notre propre pensée sur les questions soulevées par nos journées d’étude. Conformément à ce positionnement de réalisateur.trice, nous avons veillé à ce que chacun des films soit présenté à et approuvé par les intervenant.e.s qui apparaissent respectivement à l’écran.
La finalité scientifique de ces journées d’étude était de questionner les pratiques corporelles contemporaines (dé)genrées dans les cultures féministes et la création plasticienne politisée. Ou, pour le formuler de manière plus problématique, il s’agissait d’interroger la capacité des études de genre, féministes et queer à comprendre les pratiques corporelles au sein de l’art et le militantisme artistique actuel ; et réciproquement, il s’agissait d’interroger la capacité des pratiques/théories du corps dans les arts et le militantisme à appréhender les travaux scientifiques sur le genre, le féminisme et les théories queer. Nous souhaitions articuler deux dimensions du langage, que sont la production théorique (les studies) et les pratiques discursives/corporelles (dans la création artistique et le militantisme), en tant que mode d’expression sur des sujets de réflexion scientifique que ces domaines ont en commun, comme le corps et, de manière générale, l’identité. Nous nous demandions alors : quelles sont les modalités possibles de la traduction ou de la transcription interdisciplinaire, de l’expressivité politique dans la pratique artistique (faisant usage du corps et de l’identité) vers la production de théories scientifiques ? Et inversement, comment la pratique langagière de l’écriture/de la prise de parole scientifique se manifestait en feedback dans l’écriture artistique des œuvres corporelles ou des actions militantes ? Ces problématiques nous ont amené.e.s ainsi à traiter des questions sémiologiques par le biais de l’étude des relations épistémiques entre les langages corporels, politiques et scientifiques au sein de cadres illocutoires différents comme les arts, les subcultures, le militantisme et la théorie. Ainsi, c’est en premier lieu au titre des contenus de ces journées d’étude que ces courts-métrages pourront avoir leur place dans la revue GLAD!.
Nous l’avons dit, les films que nous avons réalisés n’ont pas été conçus dans une visée de renouvellement du langage cinématographique ou comme un discours d’auteur, c’est pourquoi nous pouvons interroger l’intérêt scientifique de cet objet final (une série de films documentant la recherche scientifique) dans une revue dédiée à l’exploration de la langue et à la réflexion critique sur le langage. Notre utilisation de la forme audiovisuelle comme support d’un discours non cinématographique ne peut pas faire simultanément de retour analytique ou réflexif sur elle-même, sauf à perdre sa visée, qui était la restitution et la diffusion dudit discours. Cependant, le geste filmique qui est le nôtre s’inscrit comme un geste scientifique dans la mesure où il produit une ethnographie audiovisuelle de la recherche : ethnographie de la construction de scientificité à travers la prise de parole scientifique et à travers cette agora que sont les journées d’études mêmes. En outre, ces courts-métrages, synthèses audiovisuelles de communications orales donc, ressortent de l’archive scientifique, et dès lors, en tant que contenants d’éléments de savoir, contribueront, par leur diffusion, à la production de savoirs.
Enfin, rappelons-nous que ces vidéos enregistrent la dimension performative (au sens de la linguistique et du théâtre) de la théorie vivante et concrète, en train de se dire, en train de se faire, dans le cadre d’un dispositif universitaire comme les journées d’étude. L’expressivité orale et le langage corporel de chacun.e.s des théoricien.ne.s sont enregistrés par la caméra. Filmer une parole en train de s’accomplir, de produire et de diffuser du sens, de se transmettre d’un corps à l’autre (par la performance de la voix, les performativités des mots et l’incorporation de la gestuelle) participe d’un travail sémiotique par la réalisation vidéographique. Ainsi, si notre discipline (l’esthétique, les sciences de l’art) et nos spécialisations (féministes, queer) ne sont donc pas directement reliées aux questions de linguistique et de sémiologie, elles sont néanmoins traversées partout, à tout moment, par la question politique du langage, dans la mesure où la réalisation de films enregistrant la production scientifique de savoir implique forcément une réflexion sur les discours. Notre usage de la caméra est donc défini comme une capture vidéographique de discours scientifiques qui pourront, sans aucun doute, intéresser l’expertise sémiologique.
Nos réalisations filmiques s’inscrivent dans une méthodologie de la recherche qui souhaite maintenir le processus de théorisation vivant, selon un work in progress qui laisse ouverte la possibilité de la contradiction, et plus encore, la possibilité de l’indécision et de l’irrésolution des sous-problématiques posées. Ainsi, ces courts-métrages peuvent apparaître comme une forme de bilan de ces journées d’étude, parce qu’attestant des questionnements développés, en même temps que donnant à voir et entendre la richesse de la réflexion conduite. Cependant, si nous avons, cette fois-ci, cherché à effacer notre point de vue des communications et de leurs restitutions vidéographiques, nous projetons à moyen terme de réaliser un film — court ou moyen-métrage — où notre propre pensée pourra clairement apparaître à l’écran, par le biais d’une écriture scientifique audiovisuelle qui sera identifiable comme notre propre discours.
Karine Bergès – Le corps en résistance dans l’œuvre “pornoterroriste” de Diana J. Torres
Crédits: Luc Schicharin & Anne-Laure Vernet
Violaine Higelin – Domination
Crédits: Luc Schicharin & Anne-Laure Vernet
Marie-Hélène/Sam Bourcier – « Bodies that move » : Les formes performatives et extralégales de la résistance queer
Crédits: Luc Schicharin & Anne-Laure Vernet
Lourdes Mendez – Le labyrinthe des corps : une approche à partir de l’anthropologie féministe
Crédits: Luc Schicharin & Anne-Laure Vernet