L’agitation du quotidien

Une conversation sur la réflexion Ⓐnarchiste face au sexisme dans la langue

Agitando lo cotidiano. A Conversation on the Ⓐnarchist Challenge Regarding Sexism in Language.

Mariel Acosta et Ernesto Cuba

Traduction de Sara Martinez

Référence(s) :

Acosta, Mariel & Cuba, Ernesto. 2016. « Agitando lo cotidiano. Una conversación sobre el desafío Ⓐnarquista frente al sexismo en el lenguaje » The Journal of the Students of the Ph.D. Program in Latin American, Iberian and Latino Cultures [En ligne], 11(2). URL : https://lljournal.commons.gc.cuny.edu/2016/12/02/cuba-v11-216/

Citer cet article

e-Référence

Mariel Acosta et Ernesto Cuba, « L’agitation du quotidien  », GLAD! [En ligne], 04 | 2018, mis en ligne le 30 juin 2018, consulté le 13 juillet 2020. URL : https://www.revue-glad.org/1074

Ernesto Cuba interviewe Mariel Acosta au sujet des résultats de son mémoire de master, qui traite des propositions de morphèmes de genre inclusif dans des publications anarchistes de langue espagnole, parmi lesquelles le @, le x et d’autres innovations orthographiques cherchant à contrecarrer le biais androcentré de la langue.

Ernesto Cuba interviews Mariel Acosta about the findings in her master’s thesis, which investigates inclusive gender morphemes in Spanish-language anarchist publications, among which is the use of @, x and other orthographic innovations that seek to challenge the androcentric bias of language.

Ernesto Cuba (EC) : Mariel et moi nous sommes rencontré·e·s en octobre 2015 lors de la quatrième conférence du programme Culture, Language & Social Practice (CLASP) de l’université du Colorado à Boulder. Depuis, comme nous vivons tous·tes les deux à New York, nous avons eu l’occasion de débattre de notre passion universitaire commune, les études sur la langue et le genre.

Il y a peu, j’ai lu son mémoire de master — qui a constitué le texte de son intervention à Boulder. Intitulé Subverciones lingüisticas del español: @, x, e como morfemas de género inclusivo y otros recursos estilísticos en publicaciones anarquistas contemporáneas1, ce mémoire analyse les dernières propositions en date en matière de langue non sexiste en espagnol. Dans cet entretien, qui a eu lieu à Brooklyn (New York) en octobre 2016, Mariel et moi parlons de ses découvertes, du lien qu’entretiennent des mouvements sociaux comme l’anarchisme et le mouvement LGBTQ avec l’usage de la langue, ainsi que de nos impressions quant à l’adoption et à l’évaluation de certaines propositions d’activisme linguistique féministe. Débattre de ce sujet, en tant que Latino·a vivant aux États-Unis, offre l’occasion d’observer l’usage de ces morphèmes par la communauté latina de ce pays. Cela nous permet également d’évaluer la dynamique transnationale de leur usage par la communauté linguistique hispanophone à l’échelle mondiale.

EC : J’aimerais avant tout te féliciter pour ton travail et te remercier de partager ici tes idées. Pour commencer, peux-tu nous dire quels sont les morphèmes de genre que tu as observés ? Dans quelles circonstances certains apparaissent plutôt que d’autres ?

Mariel Acosta (MA) : Mon mémoire est une analyse qualitative des symboles graphiques et des graphèmes qui remplacent les morphèmes normatifs indiquant le genre grammatical, comme le @, le signe = et les lettres x et e, ainsi que des dédoublements au niveau morphologique apportés par l’utilisation de la barre oblique, qui sépare les morphèmes binaires de genre (a/o)2. J’ai analysé trois revues sur la centaine de revues et de journaux anti-autoritaires autogérés circulant en Amérique latine. Au début de mes recherches, je souhaitais en étudier dix pour que l’échantillon soit plus représentatif de la communauté linguistique hispanophone, mais je me suis finalement cantonnée à trois publications, car ce type de morphèmes n’était pas si courant que ça. Le corpus se compose ainsi de trois titres anarchistes : El Amanecer, publié par le groupe anarchiste chilien El Amanecer3 ; Acción directa, du groupe péruvien Acción directa4 ; et enfin Organización obrera, de la Fédération régionale ouvrière argentine (FORA)5. J’ai analysé au total 21 articles issus de trois numéros de chaque titre.

L’arobase est présente dans deux des trois revues analysées ; c’est le morphème le plus répandu, notamment dans des phrases comme l@s rebeldes que se encuentran sol@s6 et l@s jamaiquin@s migran para EE.UU7, que j’ai pu observer dans Acción directa. Ce choix semble être le plus répandu dans les textes mainstream, formels comme informels, peut-être parce que l’arobase symbolise la juxtaposition des lettres a et o, ce qui indique qu’elle s’inscrit encore dans le cadre des catégories binaires féminin/masculin.

L’usage du x est plus ambigu quant à l’identité de genre du référent. De même, la position de l’énonciateur·rice n’est ni féminine ni masculine, mais ambiguë, ce qui rappelle les pratiques non verbales d’identité et de communication de certain·e·s militant·e·s anti-autoritaires, généralement insurrectionnalistes, consistant à masquer leurs visages pour garder l’anonymat, particulièrement lors d’affrontements avec la police dans le cadre de manifestations.

Cette lettre donne la possibilité à l’énonciateur·rice de ne pas assigner d’identité de genre non souhaitée aux référent·es de l’énoncé ni à lui/elle-même (s’il s’agit d’une phrase auto‑référentielle). Le x peut également élargir les possibilités d’identification des personnes dont les identités ne s’inscrivent pas dans la binarité normative féminin/masculin, qui limite les possibilités de l’énonciateur·rice en matière d’auto-référence. On l’observe dans des phrases telles que ¡Libertad a todxs lxs presxs políticxs chilenxs y mapuches!8

La barre oblique est utilisée pour séparer les morphèmes de genre dans les articles (un/a)9 et les adjectifs démonstratifs (ese/a)10. Ces déterminants modifient les substantifs pour lesquels ce n’est pas la barre oblique qui vient remplacer le morphème de genre mais le x, comme dans Escrito por un/a anónimx11. Dans d’autres cas, le masculin générique12 est maintenu pour l’article défini et l’adjectif, à côté de la barre oblique pour le nom, par exemple Los propios afectados/as13 ou bien les articles sont dédoublés, comme dans Las y los oprimidos/as14.

Le e et le signe = ne sont pas utilisés dans les publications que j’ai étudiées, mais on les trouve dans certains textes anarchistes circulant en Espagne. J’ai donc analysé leur utilisation par le collectif Pirexia, de Séville. Pirexia indique que son choix de –e et de –es pour remplacer les morphèmes normatifs binaires est une façon de créer un « quatrième genre grammatical » (les deux premiers étant le féminin et le masculin, et le troisième le masculin générique). Le collectif préfère cette possibilité en raison de sa facilité de prononciation, comme dans les compañeres anarquistes15. En parallèle, illes expliquent l’utilisation d’autres morphèmes tels que ceux dont j’ai déjà parlé, et ajoutent que l’usage du = exprime l’égalité souhaitée, comme dans l=s trabajador=s aquí reunid=s16.

EC : Quels liens as-tu observés entre l’utilisation de ces morphèmes par les collectifs anarchistes et par des groupes d’autres régions du monde pouvant également avoir cette pratique linguistique ?

MA : Aux États-Unis, l’année 2015 a vu ces derniers mois s’intensifier le débat entre étudiant·e·s et universitaires sur les réseaux sociaux et dans des articles publiés sur différents blogs17 : l’enjeu est de déterminer si l’utilisation de x est correcte, s’il faut adopter latinx18, etc. Plusieurs points de vue s’affrontent ; certain·es soutiennent l’usage du x tandis que d’autres y sont réticent·e·s, car il·elle·s estiment notamment que cela porte atteinte à la structure de la langue et que le masculin générique est suffisant. Ce débat pointe une évidence : les immigré·e·s et les générations qui sont nées et ont grandi ici continuent de parler espagnol, la langue qui leur sert de lien avec leur pays d’origine. Il exprime également la diversité des positions et des doctrines linguistiques des hispanophones.

Si l’on définit le transnationalisme comme le processus d’émigration et de maintien des liens sociaux et économiques avec le pays d’origine, le fait que la communauté linguistique hispanophone de la diaspora rejette ou adopte ce type de morphèmes de genre inclusif reflète la mobilité et la portée de certaines idéologies linguistiques. Je n’explore pas cela à fond dans mon mémoire, mais j’estime que le concept de transnationalisme a toujours été présent dans la praxis anarchiste. À la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, il existait par exemple des réseaux internationaux entre anarchistes de Cuba, de République dominicaine et de Puerto Rico, favorisés notamment par la mobilisation internationale de penseur·e·s et la circulation de publications anarchistes d’un pays à l’autre. Tout comme les anarchistes se déplaçaient et s’installaient à l’étranger (ce qu’illes font encore de nos jours), l’information circulait par le biais de revues entre l’Europe, l’Amérique latine et les Caraïbes, ce qui a également contribué au développement et à la diffusion des idées anarchistes dans diverses régions du monde.

J’ai constaté qu’il y a déjà eu de nombreux débats entre des collectifs féministes et LGBT mainstream et des universitaires prescriptivistes. J’estime toutefois que l’analyse des discours métapragmatiques d’anarchistes sur ces morphèmes, elle aussi, contribuerait considérablement à alimenter la discussion. Notamment parce qu’il est nécessaire de tenir compte de la position idéologique et de la pratique anarchiste pour comprendre les différentes raisons motivant le recours à ces morphèmes. En outre, il faut mettre en évidence et problématiser les contradictions au sein du mouvement anarchiste lui-même (comme des comportements patriarcaux, le rejet de ces morphèmes, etc.). Je pense donc que cette démarche apporterait de nouvelles perspectives aux débats sur ce sujet.

EC : De nombreuses personnes ont le sentiment que l’usage du x et de l’@ est né au début des années 2010. Mais d’après ce que tu m’as indiqué, ces deux morphèmes sont bien plus anciens. Peux-tu nous en dire plus ?

MA : Bien sûr ! Il me semble que cette impression est due au fait de leur utilisation sur les réseaux sociaux et dans d’autres espaces de communication informelle, ainsi qu’à leur association au type de langage que nous utilisons en ligne. Toutefois, comme le rappelle la linguiste Mercedes Bengoechea (2009), l’@ en tant que substitut aux morphèmes normatifs caractérisant le genre a commencé à être utilisée en Espagne dans les années 1970 dans des textes de groupes de gauche radicale et dans des revues alternatives comme Ajoblanco. J’ignore qui a lancé le x pour neutraliser les genres grammaticaux, mais d’après une autre étude de Bengochea (2015 : 14), dans laquelle elle s’intéresse spécifiquement à la communauté intersexe, cet usage est né dans les collectifs LGBTQIA.

EC : Comme tu le sais, j’ai été chargé de rédiger la deuxième édition du manuel de langue inclusive pour le gouvernement péruvien (MIMP [Ministère des femmes et des populations vulnérables], 2013). C’était à la mi-2013, et je connaissais déjà le x. Pourtant, je n’ai pas pensé à proposer des morphèmes de genre inclusif car mes employeurs me demandaient de m’en tenir aux règles de la RAE, l’Académie royale espagnole. Mais comme on le sait, la RAE est réticente à ce type de pratiques, et je me suis donc retrouvé dans une situation délicate. Je sais bien qu’une publication de l’État n’a pas grand-chose à voir avec une brochure anarchiste, mais il n’en reste pas moins que de nombreux thèmes se recoupent. Que penses-tu des politiques féministes en matière de langue (Pauwels 2003) prescrites par une autorité (top down), à la lumière des résultats de tes recherches ?

MA : J’ai été confrontée à un conflit de ce type, car j’évolue moi aussi au sein des institutions d’État et de leurs normes. Mais dans mon cas, le dilemme est plus idéologique que pratique, car je n’ai pas été engagée pour réaliser de guide linguistique. Je souhaite (de manière utopique, si l’on veut) que les morphèmes non normatifs se banalisent et que nous les utilisions comme bon nous semble, mais ça ne m’empêche pas de me réjouir d’initiatives libérales top down telles que la féminisation de la langue proposée par Pauwels. Certes, ces initiatives s’inscrivent dans le système de normes grammaticales, mais elles sont tout de même subversives. Par contre, ce qui me déplaît dans les discours et les aspirations de ces politiques et initiatives féministes, c’est qu’elles portent uniquement sur l’inclusion des points de vue et des expériences des femmes, et qu’elles sont axées sur une volonté de représentation égalitaire des hommes et des femmes dans la langue. Elles ne tiennent pas compte d’autres identités opprimées — en effet, l’hétéropatriarcat et son incarnation dans le sexisme linguistique ne concernent pas que les femmes.

EC : Il semble que tu n’aies pas rencontré de cas d’usage générique du féminin, comme « toutes les avocates » pour renvoyer à tous les genres. C’est bien ça ?

MA : Tout à fait. Je n’ai jamais vu d’usage du féminin générique dans les revues que j’ai analysées, pas plus que dans des articles sur ce thème rédigés par des collectifs ou des individus anarchistes. Il se peut que j’en trouve dans mes recherches à venir, car ces revues et fanzines19 publient des textes d’auteurs/autrices ne faisant pas forcément partie du collectif qui les gère ; l’usage de ces morphèmes dépend donc du/de la rédacteur·rice.

EC : Dans l’un des premiers chapitres, tu indiques que les « politiques de préfiguration » sont partie prenante de l’éthique anarchiste. Pourrais-tu développer ce point ?

MA : Nous — anarchistes et collectifs ou individus ayant des positions politiques radicales — cherchons à transformer la société, ou plutôt à en créer une nouvelle, par le biais d’actions et de modes d’organisation défiant les normes établies. La politique préfigurative est sous-tendue par l’idée que les actes d’aujourd’hui façonnent ou représentent le type de société égalitaire que nous appelons de nos vœux. Par conséquent, nous ne reportons pas nos désirs à un futur incertain et utopique. La résistance anarchiste ne se définit pas essentiellement par ses objectifs, mais par le processus de mise en œuvre des changements qu’elle souhaite voir advenir.

Par conséquent, cette modification de la langue à des fins politiques incarne en partie cette politique de préfiguration. Au sein du mouvement anarchiste, l’opposition aux structures de domination sociale, telles que l’hétéronormativité et le patriarcat, s’est élargie à la langue et implique de défier les normes reflétées dans la langue canonique. Nous modifions la langue pour exprimer l’égalité que nous désirons, tout en œuvrant à changer les conditions matérielles des personnes LGBTQIA (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer, intersexes et asexuelles) et à faire cesser les oppressions qu’elles subissent.

EC : Dans tes recherches, tu parles de planification linguistique, ainsi que d’anarchie et de remise en cause des forces sociales dominantes. La planification et l’anarchisme n’en viennent-ils pas à se contredire, dans le domaine des propositions de morphèmes de genre inclusif ?

MA : Bien souvent, l’anarchie — peut-être en raison de l’étymologie du terme — est assimilée au désordre, et l’anarchisme est considéré comme une philosophie politique et une pratique promouvant les débordements en tout genre. Mais c’est tout le contraire. L’anarchisme propose l’association et l’organisation de personnes, de groupes et de sociétés en l’absence d’un pouvoir centralisé, au niveau micro (groupes affinitaires, militant·e·s, comités, etc.) et macro (société complète). À petite échelle, par exemple, nous pouvons nous organiser en collectif de camarades et d’ami·e·s autour d’un potager urbain, où rien n’appartient à personne et où nous travaillons tou·te·s ensemble à construire le lieu et à l’entretenir. À plus grande échelle, j’aime citer l’exemple de l’Espagne de 1936, celle de la Guerre civile. Des terres, des usines et des industries furent expropriées ; pendant sept mois, selon un modèle autogéré d’organisation sociale et politique mis en place par des communistes libertaires et des communistes autoritaires, les industries manufacturières, l’agriculture, les transports, etc. furent collectivisés et gérés par des syndicats anarchistes et socialistes.

Organiser des personnes, des groupes et des espaces anarchistes implique une forme de planification par les personnes composant ce groupe, ainsi que la participation de tou·te·s aux processus de prise de décision en assemblée, dans des dynamiques horizontales et décentralisées. Il ne doit pas y avoir de hiérarchie (c’est-à-dire de chef), mais des facilitateur·rice·s ou des modérateur·rice·s guidant les réunions, la prise de décisions, etc. Ainsi, lorsque je parle d’initiatives de planification de la langue par des anarchistes, je pars du principe que s’organiser peut aussi consister à produire volontairement des transgressions linguistiques, qui reflètent les idéologies politiques de celleux qui les utilisent et les promeuvent.

J’aimerais souligner un autre point important, qui permet de mieux comprendre leur différence vis-à-vis des stratégies de planification linguistique normative par des secteurs dominants de la société : toutes les explications que j’ai lues sur les usages de morphèmes neutres font état de leur caractère non contraignant. Il ne s’agit pas d’obliger qui que ce soit à les adopter, pas plus que de privilégier telle ou telle solution, mais de présenter plusieurs idées permettant d’exprimer des identités de genre non binaires.

EC : Dans ton mémoire, tu parles de l’usage du k et du $ parmi d’autres pratiques de transgression linguistique. Quelle valeur revêtent ces symboles dans les publications que tu as analysées ? Ce type d’innovations orthographiques est-il courant dans les textes anarchistes ? D’autres communautés de pratique y ont-elles recours ?

MA : Pour moi, des lettres comme le k et des symboles comme le $, utilisés depuis quelque temps déjà, ajoutent de l’intensité à la transgression représentée par les autres symboles et lettres utilisés pour remplacer les morphèmes de genre binaires (a et o). Le k vient remplacer le c dans les cas où il a une valeur de consonne occlusive vélaire (/k/), surtout en début de mot, par exemple kultura, koncierto ou kolectivo20. Tout comme le k, le signe $, également utilisé dans ces publications, ne fait toutefois pas partie des signes et symboles utilisés pour remplacer les morphèmes de genre binaires. Son usage représente la critique anarchiste du capitalisme et du néolibéralisme. Il est également utilisé pour représenter des noms de pays (U$A, Libertad a lxs compañerxs en $hile21…)

Ces innovations orthographiques sont courantes dans les publications anarchistes (revues mais aussi flyers, manifestes, graffitis, fanzines et diverses publications autogérées à faible tirage). Dans les textes que j’ai analysés, leur usage n’est toutefois pas régulier ; on peut les observer à l’occasion dans tel ou tel article, en fonction de l’auteur/autrice, mais globalement, elles ne sont pas très fréquentes. Bien sûr, ces innovations ne sont pas utilisées exclusivement par des anarchistes ou d’autres mouvements de gauche. Le « k punk », par exemple, est très courant dans les fanzines de musique, d’écrits personnels (comme des poèmes) ou traitant de thèmes radicaux pas forcément anarchistes.

EC : J’ai été particulièrement intéressé par ta présentation des concepts de construction d’identités négatives et positives (Bucholtz, 1999) et de « moments d’identification » (Omoniyi, 2006). Peux-tu nous en dire davantage sur ces concepts et sur la manière dont ils t’ont aidée à mettre en ordre tes observations sur ces publications anarchistes ?

MA : Lorsque je compilais les données et les exemples de genre neutre utilisés dans ces publications, j’ai eu du mal à trouver des cadres théoriques appropriés et pertinents pour expliquer ces innovations dans la langue écrite, notamment en raison de la nouveauté du sujet, de l’apparente inconsistance de leur usage dans un même texte ou une même publication et des contextes particuliers dans lesquels elles sont utilisées.

En explorant plusieurs cadres théoriques relatifs à l’identité et au positionnement identitaire, je suis tombée sur les concepts de construction d’identités de type négatif et de type positif élaborés par Bucholtz, que j’ai empruntés pour mon mémoire. Ces concepts expliquent le processus de positionnement de l’identité et la façon dont celle-ci surgit dans l’interaction en situation spécifique, particulièrement lorsqu’il s’agit d’essayer de créer une cohésion de groupe (par opposition à une séparation).

D’après cette linguiste, c’est à travers les pratiques d’identité positive que les individus construisent de manière active une identité choisie. Ces pratiques définissent ce que sont et qui sont les usager·e·s (de la langue et des pratiques non linguistiques définissant cette identité), et mettent l’accent sur la cohésion du groupe. L’usage de ces morphèmes pour élaborer des référents non binaires permet aux anarchistes de construire des identités contre-hégémoniques par le biais desquelles il·elle·s peuvent se référer à eux/elles-mêmes de manière positive, ou exprimer leur solidarité ou leurs affinités avec les sujets de la phrase, par exemple nosotrxs, amigxs22 et d’autres formulations de ce type déjà mentionnées. Ce processus représente la catégorie de pratiques d’identité positive.

Par le biais des pratiques d’identité négative, les individus prennent leurs distances vis-à-vis d’une identité rejetée. Cette position d’opposition a lieu lorsque, dans le discours écrit, les anarchistes associent les manières normatives de marquer le genre grammatical à des entités ennemies (particulièrement celles qui représentent des institutions autoritaires ou l’État, comme la police et les chefs). Dans de nombreux articles, j’ai rencontré dans une même phrase ces morphèmes appliqués à des substantifs renvoyant à l’auteur/autrice du texte ou à d’autres anarchistes, tandis qu’en parallèle on pouvait également voir el abogado, el policía, los jueces, los carabineros23, c’est-à-dire le masculin générique, comme dans la phrase Todxs llevamos un policía dentro. Acábalo!24

Le fragment de phrase todxs llevamos… (incluant le.la lecteur·rice et le.la rédacteur·rice) contraste avec un policía… Acábalo!; écrite au masculin, elle invite la·le lecteur·rice à lutter contre ses idées oppressives intériorisées. Cela fait référence à la notion foucaldienne de panoptique, d’après laquelle le système carcéral s’étend au-delà de l’infrastructure et des murs des prisons : il est partout, et pousse les individus à s’autoréguler ainsi qu’à se réguler entre eux.

Les pratiques d’identités négative et positive peuvent être mises en œuvre simultanément dans un même texte, et ce contraste met en évidence leur fonction, comme dans la phrase con ella [la capucha] me igualo a mis compañerxs mientras insultamos a los esbirros del poder25 dans El Amanecer.

En parallèle, le concept de « moments d’identification » m’a également aidée à contextualiser l’usage de ces morphèmes. Pour Omoniyi, ce concept désigne les moments de la performance et de la perception (de soi) pendant lesquels les codes de communication verbaux et non verbaux sont utilisés pour exprimer une image de soi. Autrement dit, tandis que les processus de construction d’identités positives et négatives font référence à la formation et à la présentation de l’identité ou des identités, les moments d’identification renvoient au temps/moment où ces identités sont créées, négociées, présentées. Les moments d’identification adviennent lorsque sont utilisés les morphèmes transgressifs censés contrer l’usage du masculin normatif et générique. On peut observer ce phénomène dans les exemples illustrant les pratiques d’identité de type négatif. C’est une identité ambiguë ou non binaire qui présente la perspective de la personne faisant référence à elle-même et s’oppose à la perspective hégémonique.

Ces concepts m’ont aidée à comprendre certaines des fonctions que peuvent avoir ces morphèmes, que l’on peut manquer à la première lecture. S’ils ne sont pas analysés attentivement, ces usages peuvent être considérés comme manquant de rigueur et de régularité, car ils varient au sein d’une même phrase.

EC : Tes découvertes sur les morphèmes de genre inclusif et d’autres propositions orthographiques s’inscrivent dans un champ d’études relativement novateur et très riche qui étudie les usages orthographiques en tant que pratiques sociales (Sebba 2007). L’usage du k pour le phonème/k/a également été observé au sein de mouvements politiques indépendantistes (Thomas 2007) et indigénistes dans différentes régions et à différents moments. Justement, en ce qui concerne l’assignation de (nouvelles) valeurs sociales aux morphèmes et aux signes orthographiques, je m’interroge sur l’usage du masculin générique dans ces fanzines, dont la valeur est assez différente de celle des publications mainstream. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette différence et la valeur de l’usage du masculin générique et des morphèmes de genre inclusifs ?

MA : Cet usage du masculin dans les publications que j’ai analysées me semble également très intéressant. Le masculin générique souligne la valeur négative conférée au référent qui incarne ou représente des entités ennemies, dont il faut se démarquer. L’anarchisme en tant qu’idéologie est intrinsèquement incompatible avec l’autoritarisme et la centralisation du pouvoir que représentent l’État et les entités composant son bras idéologique (église, école, université, etc.) et son bras répressif (police, armée, etc.). Les exemples suivants sont parlants :

…ni nosotrxs mismxs entendemos… no podemos ni guardaremos silencio por Nelson Vildósola, el joven de 19 años asesinado en manos de Carabineros tras un « confuso » incidente…26

los jueces que obedecen a un represivo sistema carcelario y a los verdaderos asesinos27

Dans ces phrases, le masculin représente le système normatif et oppressif auquel sont opposé·e·s les anarchistes, et réaffirme leur opposition aux entités représentant le système contre lequel il·elle·s luttent. Je pense que cela indique également que les morphèmes inclusifs ne sont pas de simples manipulations pénibles de la langue : on voit mieux l’importance de ces transgressions linguistiques, leur fondement et leur ambition politique.

EC : Les anarchistes de ton étude souhaitent-illes que les morphèmes de genre inclusif soient adoptés par la majorité de la population ? Veulent-illes que ce type de propositions linguistiques féministes se pérennise ?

MA : Je n’ai pas l’impression qu’il·elle·s aimeraient que ces propositions soient adoptées à grande échelle. Ce qui me fait dire cela, c’est le concept d’identités négatives, qu’illes utilisent pour se démarquer d’entités hégémoniques (ellos allá y nosotrxs aquí28). Il se peut que je sois dans l’erreur ; tu pourras me reposer la question une fois que j’aurai réalisé la partie ethnographique de ce travail et interrogé des personnes qui me permettront de déterminer plus précisément à qui sont adressés ces textes et qui est intéressé par l’usage de ces morphèmes inclusifs.

Il me semble qu’une étude ethnographique pourrait également permettre de répondre à ta deuxième question, bien que j’ose avancer que, si nous nous basons sur la politique de préfiguration des anarchistes, il se peut que leur intention soit en réalité de faire perdurer ce type de propositions ou, du moins, de les voir se transformer au fil des besoins linguistiques en matière d’auto-référence et de référence à autrui.

EC : D’après mon expérience, l’objection principale aux morphèmes inclusifs tels que x et @ consiste à dire qu’ils ne fonctionnent pas à l’oral. Qu’en penses-tu ? Selon toi, que pourraient répondre à cela les auteurs/autrices des publications que tu as étudiées ?

MA : J’ai moi aussi entendu ce type d’arguments contre l’@ et le x. Outre la surprise que peut provoquer l’orthographe, on peut en effet se heurter à des difficultés de prononciation. Mais de la même façon qu’ont été créés ces morphèmes, on pourrait créer des façons de les prononcer.

Certaines personnes proposent que l’@ se prononce [oa], par exemple compañeroas. D’autres préfèrent le prononcer comme le féminin a, [a]. En ce qui concerne le x, j’avoue que je ne sais pas du tout quelle prononciation suggéreraient les auteurs/autrices, mais des collectifs ont fait des propositions. Par exemple, pour le terme latinx, dont toi et moi avons discuté et à propos duquel nous avons échangé des articles, on peut trouver des entretiens et des vidéos qui expliquent sa signification et proposent de le prononcer « latin-ex ».

D’après la romancière et poète étasunienne d’origine mexicaine Ana Castillo, qui a créé le terme xicanisma ou féminisme chicano, les langues nahuatl et mayas ne sont pas genrées comme l’est l’espagnol, ce qui aurait influencé l’usage de ce type de morphèmes de genre neutre par des activistes latinxs et chicanxs.

À cet égard, je dois remercier Summer Abbot, doctorante en études américaines à l’université du Nouveau-Mexique, que j’ai rencontrée l’année dernière à la conférence Anarchism and the Body à l’université Purdue et qui m’a parlé du mémoire de maîtrise d’Omar Ramírez. Dans ce mémoire, Ramírez discute de certaines des possibilités de prononciation du x comme dans xicanx, où le x initial et le x final correspondent à la consonne fricative palato-alvéolaire sourde [ʃ], basée sur la valeur phonétique du x en nahuatl. Cela se prononce donc « shi‑kan‑sh ». Dans chicanx, prononcé « tchi-kan-ex », le x de la fin du mot se prononce [ks] comme dans latinx.

Ces exemples sont passionnants, car ils soulignent également l’intersection de la race/ethnicité avec l’identité de genre. Ainsi, dans certains contextes, l’usage du x représente une forme de décolonisation de la langue.

EC : C’est très intéressant ! La valeur de ces nouveaux morphèmes peut tellement changer selon les lieux et les personnes qu’il est impossible de parler de « la langue » tout court ou du « système linguistique » ; nous sommes obligé·e·s de prêter attention aux locuteur·rice·s, à leurs luttes et à leurs pratiques dans des contextes donnés. Un immense merci d’avoir pris de ton temps pour ce précieux échange d’idées, Mariel.

1 Subversions linguistiques de l’espagnol : @, x et e en tant que morphèmes de genre inclusif et autres ressources stylistiques dans des publications

2 En espagnol, le o marque le masculin et le a le féminin – il existe toutefois des termes épicènes se terminant par a (anarquista, idiota, etc.).

3 Est cité dans cet article : « Libertad a los compañer@s pres@s » Collectif El Amanecer. 14 juin 2012. https://periodicoelamanecer.wordpress.com/

4 Sont cités dans cet article : « Todxs llevamos un policía dentro. Acábalo! », Grupo Acción Directa, 1.1, 2011 et « BAGUA: Libertad a los presos

5 Est cité dans cet article : « Couverture », Federación Obrera Regional Argentina. Organización Obrera, 10.33, 2011.

6 Les formes distinctes du masculin et du féminin seraient : los / las rebeldes... solos / solas. On peut traduire : « Les rebelles se retrouvant seul

7 Les formes distinctes du masculin et du féminin seraient : los / las jamaicanos / jamaicanas. En français, on pourrait traduire par : « Les

8 Si l’on voulait marquer les deux genres distinctement, cela serait : Libertad a todos los presos politicos chilenas y mapuches / todas las presas

9 « un/e »

10 « ce/tte »

11 « Rédigé par un/e anonym·e »

12 L’auteure parle de masculino epiceno au sens d’un masculin grammatical utilisé sémantiquement comme un générique. Nous traduisons ici

13 « Les[MASC]concerné/e/s eux-mêmes »

14 « Les[FEM] et les[MASC] opprimés/ées »

15 Une utilisation standard du genre serait la suivante : los compañeros / las compañeras anarquistas. Ici, le –a de anarquista est un morphème

16 « Les travailleu=s ici réuni=s »

17 Pour une illustration de ces débats, voir « The case against ‘Latinx’« Los Angeles Times : http://www.latimes.com/opinion/op-ed/

18 À la place de latino et / ou latina.

19 NdA : Les fanzines ou zines sont des textes écrits et publiés de manière autogérée. Généralement rédigés à la main, à la machine à écrire ou à l’

20 « kulture », « koncert », « kollectif ». Ces termes, ainsi orthographiés, sont aussi en usage en français.

21 « Liberté pour lxs camaradxs du $hili »

22 « nou·e·s », « amixs »

23 « l’avocat[MASC] », « le policier », « les juges[MASC] », « les carabiniers »

24 « Nou·e·s avons toux un policier en nous. Tuons-le ! »

25 « avec elle [la capuche] je suis sur un pied d’égalité avec mes amixs pendant que nous insultons les chiens de garde du pouvoir »

26 Littéralement : « noues-mêmes ne comprenons pas… nous ne nous tairons pas au sujet de Nelson Vildósola, le jeune de 19 ans assassiné par les

27 « Les juges[MASC] qui obéissent à un système carcéral répressif et aux véritables assassins… »

28 « eux là-bas et noues ici »

BENGOECHEA, Mercedes (éd.). 2009. « Efectos de las políticas lingüísticas antisexistas y la feminización del lenguaje. Año 2006- 2009 ». Alcalá : Instituto de la Mujer. Université d’Alcalá de Henares. Consulté le 10 octobre 2016. <http://www.inmujer.gob.es/fr/areasTematicas/estudios/estudioslinea2010/docs/efectosPoliticasLinguistas.pdf>

—. 2015. « Cuerpos hablados, cuerpos negados y el fascinante devenir del género gramatical »

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Sources primaires

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« Couverture » Federación Obrera Regional Argentina. Organización Obrera, 10.33, 2011.

« Todxs llevamos un policía dentro. Acábalo! » Grupo Acción Directa. Acción Directa, 1.1, 2011.

—. « BAGUA: Libertad a los presos del 5 de junio », Acción Directa, 3.5, 2013.

1 Subversions linguistiques de l’espagnol : @, x et e en tant que morphèmes de genre inclusif et autres ressources stylistiques dans des publications anarchistes contemporaines

2 En espagnol, le o marque le masculin et le a le féminin – il existe toutefois des termes épicènes se terminant par a (anarquista, idiota, etc.). Sauf spécifié autrement, toutes les notes sont de la traductrice.

3 Est cité dans cet article : « Libertad a los compañer@s pres@s » Collectif El Amanecer. 14 juin 2012. https://periodicoelamanecer.wordpress.com/2012/06/14/afiche-solidario-con-carla-verdugo-e-ivan-silva-companers-rehenes-del-estado/. Consulté le 10 octobre 2016.

4 Sont cités dans cet article : « Todxs llevamos un policía dentro. Acábalo! », Grupo Acción Directa, 1.1, 2011 et « BAGUA: Libertad a los presos del 5 de junio », Grupo Acción Directa, 3.5, 2013.

5 Est cité dans cet article : « Couverture », Federación Obrera Regional Argentina. Organización Obrera, 10.33, 2011.

6 Les formes distinctes du masculin et du féminin seraient : los / las rebeldes... solos / solas. On peut traduire : « Les rebelles se retrouvant seul·e·s » ou « seul@s ».

7 Les formes distinctes du masculin et du féminin seraient : los / las jamaicanos / jamaicanas. En français, on pourrait traduire par : « Les Jamaïcain·e·s émigrent aux États-Unis ».

8 Si l’on voulait marquer les deux genres distinctement, cela serait : Libertad a todos los presos politicos chilenas y mapuches / todas las presas politicas chilenas y mapuches. En français, on peut proposer : « Liberté pour toux les prisonnixs politiques chilixs et mapuches ».

9 « un/e »

10 « ce/tte »

11 « Rédigé par un/e anonym·e »

12 L’auteure parle de masculino epiceno au sens d’un masculin grammatical utilisé sémantiquement comme un générique. Nous traduisons ici systématiquement par masculin générique. En espagnol, il peut arriver que ces termes syntaxiquement masculins soient morphologiquement marqués par un suffixe habituellement féminin, comme los anarquistas (en français, « un squelette » s’approche de ce type de cas).

13 « Les[MASC] concerné/e/s eux-mêmes »

14 « Les[FEM] et les[MASC] opprimés/ées »

15 Une utilisation standard du genre serait la suivante : los compañeros / las compañeras anarquistas. Ici, le –a de anarquista est un morphème épicène (voir note 9) et aurait d’ailleurs pu être laissé tel quel en espagnol. En français, les termes « camarades » et « anarchistes » sont tous deux épicènes, mais on pourrait imaginer « les étudiantis contentis » pour « les étudiantes contentes / les étudiants contents ».

16 « Les travailleu=s ici réuni=s »

17 Pour une illustration de ces débats, voir « The case against ‘Latinx’« Los Angeles Times : http://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-hernandez-the-case-against-latinx-20171217-story.html, « Why People Are Using The Term ‘Latinx’« Huffington Post : https://www.huffingtonpost.com/entry/why-people-are-using-the-term-latinx_us_57753328e4b0cc0fa136a159, ou encore cet article du Merriam-Webster sur le sujet : https://www.merriam-webster.com/words-at-play/word-history-latinx.

18 À la place de latino et / ou latina.

19 NdA : Les fanzines ou zines sont des textes écrits et publiés de manière autogérée. Généralement rédigés à la main, à la machine à écrire ou à l’ordinateur, ils comportent souvent des collages, des découpages et des dessins. Ce sont des publications à faible tirage, que l’on peut se procurer directement auprès de l’auteur / autrice ou de distros (collectifs ou individus qui diffusent des textes, de la musique, des t-shirts, des badges, etc. généralement lors de concerts, de foires aux livres anarchistes et d’autres types d’événements).

20 « kulture », « koncert », « kollectif ». Ces termes, ainsi orthographiés, sont aussi en usage en français.

21 « Liberté pour lxs camaradxs du $hili »

22 « nou·e·s », « amixs »

23 « l’avocat[MASC] », « le policier », « les juges[MASC] », « les carabiniers »

24 « Nou·e·s avons toux un policier en nous. Tuons-le ! »

25 « avec elle [la capuche] je suis sur un pied d’égalité avec mes amixs pendant que nous insultons les chiens de garde du pouvoir »

26 Littéralement : « noues-mêmes ne comprenons pas… nous ne nous tairons pas au sujet de Nelson Vildósola, le jeune de 19 ans assassiné par les Carabiniers après un incident “confus” »

27 « Les juges[MASC] qui obéissent à un système carcéral répressif et aux véritables assassins… »

28 « eux là-bas et noues ici »

Mariel Acosta

Mariel Acosta est née à Saint-Domingue, en République dominicaine, et s’est installée aux États-Unis pour ses études universitaires. Elle a suivi un cursus de premier cycle en anthropologie avec une majeure en anthropologie linguistique au Hunter College (CUNY), où elle a également obtenu un diplôme de traduction et d’interprétation. Elle a ensuite fait une maîtrise d’espagnol au City College (CUNY). Parmi ses centres d’intérêts et thèmes de recherche se trouvent notamment les questions genre et langage, les idéologies linguistiques, les politiques anarchistes et l’histoire de l’anarchisme en Amérique latine. Dans le cadre de conférences et d’ateliers, elle a récemment présenté les premiers résultats de son enquête sur les origines de l’anarchisme en République dominicaine, ainsi que sa recherche sur les morphèmes de genre inclusifs et d’autres transgressions linguistiques dans des textes anarchistes contemporains d’Amérique latine.

Ernesto Cuba

Ernesto Cuba est étudiant en troisième année de doctorat de linguistique hispanique du Graduate Center de l’université de la ville de New York (CUNY). Il a suivi un cursus de linguistique et d’études de genre à l’université pontificale catholique du Pérou. Ses recherches portent sur le langage, le genre et la sexualité. Il a rédigé le guide de langue inclusive intitulé Guía de Uso de Lenguaje Inclusivo. Si no me nombras, no existo (Manuel de langue inclusive. Si tu ne me nommes pas, je n’existe pas) pour le gouvernement de son pays, le Pérou (2013). Il s’intéresse tout particulièrement aux pratiques sociolinguistiques des communautés hispanophones queer, ainsi qu’aux politiques linguistiques autour de l’espagnol et des langues indigènes péruviennes. Ernesto est féministe et militant LGBT, et se dit linguiste féministe. Depuis son installation à New York, il est engagé dans des collectifs et des réseaux activistes et universitaires de personnes LGBT racisées.

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