L’art transgenre, vers d’autres expériences corporelles du temps

Transgender Art, Toward other Bodily Experiences of Time

Luc Schicharin

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Luc Schicharin, « L’art transgenre, vers d’autres expériences corporelles du temps », GLAD! [En ligne], 06 | 2019, mis en ligne le 01 juillet 2019, consulté le 11 juillet 2020. URL : https://www.revue-glad.org/1554

Cet article compare la représentation du temps dans son rapport à la transformation du corps, au sein de la culture (artistique) hégémonique et dans le contenu sémiologique des œuvres transgenres. L’étude s’intéresse tout d’abord à la critique du trope transsexuel de l’avant-après émise par l’œuvre « Becoming » de Yishay Garbasz. Cette dialectique visuelle découle, selon notre hypothèse, d’une norme temporelle évolutionniste apparue au XIXe siècle (avec Darwin et l’invention du cinéma). Ensuite, l’installation « Female-to-"Male" » de Wynne Neilly expose l’expérience de la « deuxième puberté » transgenre de l’artiste, se détournant d’une chronobiologie hétéro-cisnormative axée sur la maturité sexuelle et la reproduction. Enfin, les performances « Untitled » de Kris Grey et « Cuts: A Traditional Sculpture » de Cassils interrogent le corps comme une sculpture vivante : elles déconstruisent l’idée selon laquelle l’identification médicale du sexe est « l’instant fécond » (Lessing) du genre et le « roc biologique » (Freud) de la subjectivité. L’art transgenre invite ainsi à penser d’autres temporalités corporelles.

This article compares the representation of time in its relation to the transformation of the body, in the hegemonic (artistic) culture and in the semiological content of transgender works. First, the study focuses on the criticism of the before-after trope of transsexuality in Yishay Garbasz’s work "Becoming". According to our hypothesis, this visual dialectic derives from an evolutionary temporal norm appeared in the nineteenth century (with Darwin and the invention of cinema). Next, Wynne Neilly’s "Female-to-‘Male’" installation exposes the artist’s transgender "second puberty" experience, turning away from a hetero-cisnormative chronobiology focused on sexual maturity and reproduction. Finally, the performances of Kris Grey’s "Untitled" and Cassils’ "Cuts: A Traditional Sculpture" question the body as a living sculpture: they deconstruct the idea that the medical identification of sex is "the fruitful moment" (Lessing) of gender and the eternal "biological bedrock" (Freud) of subjectivity. Transgender art thus invites us to think of other bodily temporalities.

Introduction

Les représentations actuelles de l’être humain sont marquées par l’apparition au XIXe siècle de nouvelles technologies destinées à rendre visibles le mouvement et la temporalité du corps (chronophotographie, proto-cinéma, cinéma). Ces techniques offrent non seulement l’illusion d’une animation des corps représentés pendant l’activité, mais aussi l’inscription de la représentation de ces corps dans une temporalité (d’un instant « a » à un instant « b » et ainsi de suite). La cinématographie permet donc l’invention de nouvelles manières d’imager les corps dans la progression d’un mouvement en train d’être effectué, ainsi que dans le cours d’une temporalité plus ou moins longue dans laquelle celui-ci s’insère. Les progrès techniques de l’image animée accompagnent des théories révolutionnaires à propos de l’histoire de l’espèce humaine (dernier maillon de la chaîne évolutive) ; en effet, à la même époque, la thèse évolutionniste de Darwin nous invite à de nouvelles perspectives anthropologiques qui ne seront pas sans conséquence sur notre culture visuelle, puisqu’elles rationalisent les représentations de la « marche du progrès »1 (il s’agit d’une conception visuelle du temps en tant que phénomène biophysique dans lequel l’humain ne peut qu’avancer). La description visuelle du mouvement corporel de l’humain au XIXe siècle, au sein des représentations scientifiques et artistiques, a favorisé l’apparition d’une norme temporelle des corps : une vision évolutionniste de la vie et des humains axée sur le progrès et le déclin, tant dans la biographie individuelle de l’humain (à travers les âges, de l’enfance à la vieillesse) que dans sa généalogie anthropologique (du singe vers l’humain).

En réponse à ces images du mouvement corporel et à la norme temporelle des corps qu’elles entraînent, les artistes transgenres proposent un contre-usage des techniques cinématographiques afin de partager des expériences temporelles inédites permises par la spécificité de leur corps. Cette esthétique contre-cinématographique de l’art transgenre apparait aussi en réaction aux représentations scientifiques du sexe comme fixation politique de l’identité genrée du sujet (de la naissance à la mort). Nous verrons ainsi que les temporalités du mouvement et de la fixité coexistent pour réguler les vies humaines : si la société considère que certains changements corporels sont indispensables (notamment ceux liés à la maturité sexuelle), en revanche elle accepte mal les variations somatiques de l’identité de genre. Le moment de l’identification du sexe d’un individu apparait comme un instant socialement déterminant qui est censé figer le corps et l’esprit du sujet pour la vie. Les artistes transgenres semblent représenter cette assignation sexuelle à travers la métaphore de la sculpture immuable. Nous verrons donc de quelle manière il est possible de repenser cette « biopolitique du genre » (Preciado 2005) à travers cette allégorie de la statuaire.

L’art transgenre explore des alternatives esthétiques à la vision normative et dominante de la temporalité de l’humain. Le langage esthétique qui est employé par les artistes transgenres est assimilé aux images du mouvement : plusieurs œuvres enregistrent et décomposent la (trans)formation de genre, proposant d’observer le mouvement progressif de leur corporéité. En effet, plusieurs artistes transgenres enregistrent la progression de leur transition corporelle et exposent des séries photographiques qui rendent compte de ce que l’on pourrait appeler des chronologies alternatives du genre. Nous voudrions nous intéresser plus particulièrement à quatre artistes : Yishay Garbasz, Wynne Neilly, Kris Grey et Cassils. Chacun.e montre, de façon singulière, le spectre temporel d’un parcours identitaire et corporel qui a été le sien, d’un point de l’existence à un autre. Mais que produisent ces nouvelles images du corps ? Quelle(s) autres temporalité(s) corporelle(s) parviennent-elles à faire émerger ?

Notre méthode procède à la fois de l’iconologie, de la sémiologie de l’art et de l’anthropologie de l’art. L’iconologie est l’étude des images au regard de l’histoire, de la culture visuelle, de la société et du contexte dans lesquels elles émergent. Cette méthodologie permettra une analyse approfondie de la nouvelle perspective chronologique et cinématographique des représentations artistiques du corps humain au regard des œuvres transgenres. La sémiologie de l’art est l’étude des discours sur les œuvres, c’est un métalangage ; avec cette méthode, nous allons plus particulièrement nous intéresser à la manière dont les artistes parlent de leur œuvre et de leur démarche afin de mieux interpréter le langage esthétique de leurs productions artistiques. Enfin, l’anthropologie de l’art consiste à étudier les créations artistiques humaines afin de nous renseigner sur les pratiques et les spécificités de ce groupe, mais elle peut aussi s’intéresser plus particulièrement à une collectivité sociale et à ses propriétés culturelles à travers l’analyse de ses productions artistiques. Notre recherche s’intéresse à l’art transgenre afin de produire des connaissances scientifiques sur les individus et les groupes transgenres. Cette étude permet in fine de reconsidérer des savoirs acquis qui ont été produits au sein d’une histoire scientifique cisnormative (c’est-à-dire : qui tend à universaliser l’expérience des corps non transgenres).

Notre exposé sera découpé en trois parties par les différentes analyses d’œuvres. Nous commencerons avec une étude artistique de l’œuvre Becoming (2008-2010) d’Yishay Garbasz, puis nous poursuivrons avec une observation de l’exposition Female-to-“Male“ (2014) de Wynne Neilly, enfin nous clôturerons notre dissertation avec l’examen des travaux de Kris Grey (Untitled, 2012-2016) et Cassils (Cuts: A Traditional Sculpture, 2011). Chaque partie nous permettra d’aborder des problématiques qui relient le genre à la représentation corporelle du temps, ainsi qu’à la représentation temporelle des corps : l’évolutionnisme (Darwin, 2013[1859]) ; les âges de la vie (l’adolescence en particulier) ; et, pour finir, « l’instant fécond » de Lessing (1802[1766]).

Becoming (2008-2010) : l’involution créatrice à l’œuvre chez Yishay Garbasz

La première œuvre que nous allons aborder s’intitule Becoming, elle a été réalisée entre 2008 et 2010 par Yishay Garbasz, une artiste transgenre. Dans Becoming, Garbasz nous présente une partie des neuf-cent onze photographies qui enregistrent sa transformation corporelle sous l’effet des hormones et de la chirurgie de réassignation sexuelle. L’œuvre est exposée de trois manières différentes : elle est parfois présentée sous la forme d’un zootrope2 monumental avec vingt-huit photographies3 (Biennale de Busan, 2010), elle est également publiée sous le format d’un folioscope4 avec quatre-vingt-sept photographies (Garbasz 2010), et enfin dans une série de vingt photographies imprimées les unes à côté des autres (comme sur une pellicule), puis installées dans un long cadre mural (Art Basel Miami Beach, 2012). L’artiste montre ainsi sa modification corporelle de manière chronologique, empruntant son langage esthétique aux technologies cinématographiques du XIXe siècle (zooscope, folioscope, time-lapse). En effet, à la manière des pionniers du cinéma (comme Étienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge) qui étudiaient la locomotion des corps en décomposant la gestualité dans une succession de photographies (technique appelée chronophotographie), l’artiste tente de relater la temporalité de son genre (en cours de modification) par une suite chronologique d’autoportraits photographiques qui relate le passage temporel d’une anatomie à une autre5. Mais il ne s’agit pas, avec Garbasz, d’utiliser les technologies cinématographiques pour suggérer le mouvement de son corps, selon les conceptions évolutionnistes du « temps » héritées du XIXe siècle ; il s’agit plutôt de situer la représentation de son anatomie transgenre au regard de cette histoire scientifique et des techniques visuelles qui l’accompagnent. En effet, Garbasz constate que les corps transgenres sont fréquemment représentés dans les grands médias, destinés à un public majoritairement cisgenre (Espineira 2008), selon un dispositif visuel hérité des techniques d’enregistrement du « temps » et du « mouvement » corporel établi au XIXe siècle. Son œuvre cherche à critiquer autant qu’à échapper à ce protocole normatif de la mise en image des corps transgenre. Dans une interview, l’artiste déclare :

D’une certaine manière, l’œuvre examine les réactions du public. Au début, la plupart des gens scrutent d’abord mes organes génitaux — opérés ou pas — mais, après cela, ils persistent à regarder les images. La partie la plus intéressante de mon œuvre est la chevelure. […] Les organes génitaux occupent un si petit pourcentage de mon corps, et mes bras et mes jambes ne changent pas. Je suis la même personne que j’ai toujours été. Pour le dire plus clairement : je suis la même femme que j’ai toujours été. J’ai voulu mettre cela en lumière parce que le trope de l’avant-après [nous soulignons] est ennuyeux et stéréotypé, contrairement à ce que des centaines de photographes cisgenres6 voudraient vous faire croire. J’ai voulu créer quelque chose de plus réaliste, et non me préoccuper de l’avant et de l’après7. (Garbasz 2016)

Garbasz réalise donc une œuvre critique qui conteste le trope de l’avant et de l’après, caractérisant les représentations dominantes de la « transsexualité » dans la culture et les médias8. L’artiste attaque le regard cisnormatif dans la mesure où il se soumet à la conception dominante du temps qui pose l’idée de l’évolution (avant-après) comme le paradigme du corps et de la vie humaine. Alors que sa propre réalité en tant qu’individu transgenre lui paraît tout à fait autre. A contrario de cette conception évolutionniste, et malgré son usage de la cinématographie, Garbasz cherche à démontrer que, hormis la disparition de son pénis et la pousse de ses cheveux, son corps féminin ne change pas de manière spectaculaire. L’artiste devient et, à la fois, reste la femme qu’elle a toujours été. Le processus biotechnologique de sa transition de genre (les hormones et la chirurgie de réassignation sexuelle) procède plus de l’involution deleuzo-guattarienne que de l’évolution darwinienne puisqu’il s’agit de « retourner » à un corps qui a toujours été le sien. L’« involution créatrice » de Deleuze et Guattari (1980 : 203) se substitue à l’idée d’une « évolution créatrice » chez Bergson (2006[1907]), qui est elle-même issue d’une analyse critique de la pensée darwiniste : selon les deux philosophes, il n’y aurait jamais d’évolution, ni dans la nature, ni dans le psychisme, ni dans la vie, il y a seulement des devenirs. Deleuze écrivait à ce propos :

Telle est la simultanéité d’un devenir, dont le propre est d’esquiver le présent. En tant qu’il esquive le présent, le devenir ne supporte pas la séparation ni la distinction de l’avant et de l’après, du passé et du futur. Il appartient à l’essence du devenir d’aller, de tirer dans les deux sens à la fois […]. (Deleuze 1969 : 9)

Si nous proposons cette grille de lecture pour analyser l’œuvre de Garbasz, nous le faisons en gardant à l’esprit que Deleuze et Guattari ont eu tendance à écarter les minorités de genre (femmes, homosexuel.le.s, travesti.e.s, transgenres) de leur conception du devenir, ce qui a été critiqué à juste titre par plusieurs théoriciens queer (Cressole 1973 ; Preciado 2000 ; Bourcier, 2009). C’est pourquoi nous précisons qu’il s’agit d’une re-conceptualisation queer du devenir, quelque peu désobéissante aux « lois métaphysiques » posées par les deux philosophes, car notre usage du concept est plus axé sur l’étude d’une expérimentation alternative du temps par les corps transgenres en art.

Le titre de l’œuvre de Garbasz, Becoming [devenir en français], éponyme du concept deleuzo-guattarien, nous invite en effet à considérer cette performance, et les différents dispositifs visuels qui la rendent visible au public, comme une « involution créatrice », un anachronisme artistique (au sens mélioratif) et une contre-cinématographie du corps transgenre. Il s’agit d’un contre-usage de l’image du mouvement corporel qui atteste d’une temporalité alternative de la formation anatomique du genre chez l’artiste. En effet, le corps féminin de l’artiste est antérieur à ses modifications hormonales et chirurgicales. Le processus transgenre agit donc comme un « retour vers le futur », venant perturber nos conceptions darwiniennes de la temporalité corporelle.

Par son usage critique des premières techniques de la cinématographie, Garbasz rappelle que la conception actuelle que l’on se fait du temps et du mouvement de la vie se développe au XIXe siècle avec l’apparition conjointe, et épistémologiquement corrélée, de l’évolutionnisme darwinien et des techniques cinématographiques. Sébastien Denis écrit que « le développement des recherches [scientifiques] en zoologie et en archéologie, ainsi que les travaux de Darwin [1809-1882] sur l’évolution, amèneront bon nombre de représentations graphiques successives de l’animal vers l’homme (sic) qui ne seront pas sans importance dans la représentation du mouvement humain animé » (2011). Pour illustrer ce propos, Denis mentionne l’édition de L’art de connaître les hommes par la physionomie (1820[1775-1776]) de Johann Kaspard Lavater (1741-18019), paru quelques dizaines d’années avant L’origine des espèces (1859), où l’on trouve vingt-quatre dessins successifs montrant l’évolution de l’animal vers l’homme idéalisé (« De la grenouille à Apollon »). Difficile de ne pas établir de liens avec l’évolutionnisme darwinien à venir, et la célèbre illustration de la Marche du progrès, bien plus tardive, de Rudolph F. Zallinger (1919-1995) intitulée Sur la voie d’Homo sapiens [The Road to Homo Sapiens] et publiée dans l’ouvrage de Francis Clark Howell (1925-2007), Early Man, en 1965. En retour, comme le suggère André Gunthert, « [la] proposition [de Zallinger] peut être rapprochée d’une gravure due au peintre naturaliste Waterhouse Hawkins, publiée en frontispice de l’ouvrage de Thomas Henry Huxley, Evidence as to Man’s Place in Nature (1863), qui associe à des fins de comparaison les squelettes du gibbon, de l’orang-outang, du chimpanzé, du gorille et de l’homme » (2016). Cette gravure du XIXe siècle n’est certainement pas dissociée de la fameuse sentence de l’évêque d’Oxford, selon laquelle « l’homme descend du singe », relatant ainsi les débats polémiques autour de L’Origine des espèces et de la genèse anthropologique de l’humain (Gunthert 2016).

Sébastien Denis (2011) et André Gunthert (2009) invitent également, dans leurs travaux respectifs, à penser cette recomposition picturale des physionomies et de l’évolution en relation avec l’invention de la chronophotographie, ancêtre directe de la cinématographie qui en pose les principes fondamentaux. Les travaux de Étienne-Jules Marey et de son assistant Georges Demenÿ en France, et ceux de Eadweard Muybridge aux États-Unis, vont entériner l’inscription picturale du mouvement à travers la mise au point de la chronophotographie, véritable dispositif cinématographique, dans sa signification étymologique la plus littérale (du grec ancien « kínêma » : le mouvement ; et « graphein » : écrire10). Rappelons que la chronophotographie consiste à prendre des photographies en rafale d’un sujet en mouvement, le tirage de cette série d’images permettant de décomposer visuellement, avec plus ou moins de précision, la gestualité et les postures qui permettent la locomotion du corps dans l’espace. Bien entendu, l’échelle temporelle enregistrée par la chronophotographie n’est pas la même que celle des illustrations schématiques de l’évolutionnisme anthropologique. Cependant, dans toutes ces représentations du mouvement humain, l’écoulement du temps est suggéré, ce qui implique la métaphore d’une avancée de l’humanité plus ou moins perceptible et intelligible pour le public. Chez Muybridge, l’image du mouvement dans le temps suggère son déterminisme temporel : il y a un ordre chronologique, un avant et un après. Il s’agit d’un essentialisme et, quelle que soit son échelle temporelle (qu’il s’agisse d’une poignée de secondes ou de plusieurs centaines de milliers d’années), il y a toujours un point de départ et une destination que la science pense pouvoir représenter (par exemple : le singe comme origine de l’espèce humaine, le cyborg comme destin post-humain).

C’est précisément cette convention scientifique de la représentation du corps changeant à l’épreuve du temps (donnant à voir un avant et un après de l’évolution et du mouvement humain) qui va être reconduite dans les images consensuelles de la « transsexualité ». Cette représentation idéologique du « changement de sexe » est problématique en ce qu’elle réduit et déforme le mouvement des vies transgenres. C’est pourquoi les artistes vont critiquer le dispositif cinématographique et la perspective évolutionniste qui désinforment les vies transgenres et proposer d’autres expériences corporelles du temps. Nous remarquons ainsi une analogie visuelle et intellectuelle entre le trope évolutionniste darwinien de l’avant-après, illustré par Huxley puis Zallinger (du singe vers l’homme), et le trope de l’avant-après dans les photographies de « transsexuel.le.s » (d’un sexe à l’autre) qui sont critiquées par Garbasz. Tout comme l’histoire visuelle de l’évolutionnisme consolide la différence entre les singes et les humains (Haraway 1989 : 92), les représentations binaires de la transsexualité (axées sur l’avant-après) entérinent la différence sexuelle entre les hommes et les femmes. Et c’est aussi en ce sens que cette vision stratégiquement binaire de la temporalité corporelle transgenre est remise en cause par Garbasz : il n’y a pas de temps avant, ni de précédent masculin à la féminité dans l’œuvre corporelle de l’artiste. Elle devient la femme qu’elle a toujours été. Cela suppose que sa transidentité féminine procède d’une temporalité où l’avant et l’après n’ont plus la capacité chronologique de définir et de décrire son corps, et c’est pourquoi nous estimons qu’elle procède d’un autre mouvement temporel qui est celui de l’involution créatrice.

Weekly Instant Photographs (2013-2014) : l’expérience d’une deuxième adolescence à l’œuvre chez Wynne Neilly

Dans la série Weekly Instant Photographs, apparue au sein de l’exposition personnelle de Wynne Neilly intitulée Female-to-“Male“11, nous voyons le changement corporel de l’artiste qui s’injecte des doses de 100 mg de testostérone par semaine, sur une période d’un an, entre 2013 et 2014. L’artiste photographie chaque semaine le haut de son corps (plan taille) sur un fond neutre, le visage est inexpressif, afin d’attirer notre attention sur les variations corporelles : les poils faciaux qui commencent à pousser, la musculature qui se précise, des tatouages qui se rajoutent, etc. Bien que cette démarche diffère des travaux de Marey et Muybridge, nous pouvons parler d’une réminiscence de la chronophotographie, les images venant inscrire la transformation du corps dans le temps. Dans Vocal Changes (2013-2014), une bande-son diffuse (via un casque audio) la voix de l’artiste qui se modifie peu à peu grâce aux injections hebdomadaires de testostérone. Cet enregistrement audio est accompagné de la photographie Facial Hair (2014) où un gros plan sur la bouche de l’artiste nous montre le fin duvet au-dessus de ses lèvres. D’autres travaux artistiques sont présentés dans Female-to-“Male“, mais arrêtons-nous sur ces trois-là qui semblent particulièrement engagés dans l’image du mouvement corporel qui nous intéresse, représentant la modification corporelle transgenre comme une apparente évolution. Le procédé artistique qui consiste à imager et sonoriser des changements corporels reprend aussi le protocole qu’avait instauré l’artiste conceptuel Roman Opalka (1931-2011) qui, chaque jour, rappelons-le, enregistrait le son de sa voix et photographiait son corps selon le même cadrage et la même neutralité émotive. Réactualisant le thème artistique des âges de la vie humaine apparu à la Renaissance, dans une perspective contemporaine, Opalka inscrit les traces du temps sur son corps et capture l’image de son vieillissement progressif, selon une trajectoire rectiligne qui répond aux conceptions dominantes de la vie humaine et de son évolution ordonnée (enfance, adolescence, maturité, vieillesse).

Chez Wynne Neilly, l’exposition du corps en cours de modification amène à réfléchir la formation du genre, et puisque l’artiste refuse toute assignation sexuelle, ille12 se définit comme résolument « trans » ; les enregistrements audiovisuels de sa métamorphose se présentent comme les extraits d’une trajectoire qui va de l’identité faussement considérée comme féminine vers une identité masculine tout aussi incertaine, voilà la signification des guillemets dans Female-to-“Male“ (Neilly 2014a). Ici, ce sont à la fois le passé et le futur du corps transgenre qui sont interrogés par l’artiste.

Mais l’œuvre de Wynne Neilly interroge également les relations intrinsèques entre l’organisation temporelle de la vie (les âges) et la formation de son genre (le développement sexuel) : provoquant délibérément un « retour à une puberté » (Neilly 2014a ; Neilly 2014b), la transformation corporelle de l’artiste n’implique cependant pas l’arrivée à maturité sexuelle d’un adulte « mâle » qui annonce le temps de la procréation, comme nous pouvons le voir dans les manuels de sciences de la vie et de la terre. Dans l’œuvre de Wynne Neilly, la temporalité corporelle s’inverse, la puberté succède à l’âge adulte. Selon J. Jack Halberstam, « la testostérone précipite une adolescence tardive chez la personne transgenre : la voix mue, la peau éclate, les hormones font rage » (Volcano & Halberstam 1999 : 128). Le mot puberté, du latin pubis (« poil, pubis »), se réfère habituellement à la pousse des poils et au développement fonctionnel des organes génitaux ; chez Wynne Neilly, la puberté est une (re)production de certains signes visuels de la métamorphose de l’enfant mâle en « homme » procréateur (la pilosité, la masse musculaire, la mue), sans aucune incidence sur sa fertilité. Dans les conceptions dominantes, la puberté n’arrive qu’une seule fois dans une vie, signalant l’arrivée à la maturité sexuelle, pourtant Wynne Neilly modifie, voire déconstruit cette structure temporelle du corps humain en entamant une « deuxième puberté » (2014). Cette involution créatrice bouleverse l’idée d’un âge évolutif (en marche vers un genre défini par les organes génitaux) et suggère, là encore, un contre-usage des images du mouvement corporel (série chronophotographique, enregistrement audio) qui altère le sens (la « direction » autant que la « signification ») des changements physiologiques.

Wynne Neilly nous montre ainsi que la problématique du genre est sous-jacente à la représentation des âges de l’humain. Représenter les âges de la vie humaine devient une pratique artistique répandue à partir de la Renaissance, par exemple avec le tableau Les trois âges de la vie d’Hans Baldung Grien (vers 1510). Elle se perpétue dans la période moderne à ce détail près qu’elle en propose une vision évolutive, en attestent les images d’Épinal produites par François Georgin en 1826 représentant les Degrés des âges (Gunthert 2009). L’iconographie commune entre les âges de la vie et l’évolution est particulièrement visible dans l’ouvrage contemporain Les âges de la vie d’Axel Kahn et Yvan Brohard (2012). « La photo d’une future mère Himba caressant avec tendresse son ventre arrondi rappelle que les femmes sont à l’origine du monde », nous dit Kahn se demandant, dans le même temps, si la mise au point d’un utérus artificiel, permettant aux femmes d’assumer pleinement leur carrière sur le plan professionnel, serait une avancée ou une privation inouïe (Kahn, Brohard & Canal Académie, 2013). Ainsi, tandis que la peinture de Grien mêle les âges au sein de sa composition (le nourrisson étant représenté au même niveau que le corps mourant), la gravure de Georgin, tant par son titre et par son organisation, hiérarchise et ordonne les âges de la vie selon un axe pyramidal allant de la gauche vers la droite, avec une ascension, un pic et un déclin. Ce qui n’est pas sans rappeler la vision évolutionniste et naturellement sélective de Darwin, mais cette fois-ci à l’échelle de la vie humaine. De la même manière, les illustrations et les propos d’Axel Kahn proposent une histoire anthropologique dans laquelle la femme africaine enceinte serait « l’origine du monde » et l’utérus artificiel représenterait le futur technologique comme un déclin de la féminité. Ainsi, force est de constater que lorsque les femmes se trouvent enfin incluses dans la marche du progrès, les représentations focalisent l’attention sur leurs organes reproductifs ; de la même manière, les peintures représentant les âges de la vie à la Renaissance se calquent sur l’état fonctionnel de l’utérus (puberté, grossesse, ménopause).

La question du temps et, plus précisément ici, de l’âge en relation avec la formation du genre est également évoquée dans l’imagerie médicale de l’embryologie au XXe siècle. En effet, le discours scientifique affirme que la détermination du sexe chez le fœtus suivrait plusieurs étapes progressives et évolutives : la formation du sexe génétique lors de la fécondation (XX ou XY) ; la différenciation gonadique (transformation de la gonade indifférenciée et bipotentielle en ovaires ou testicules) et enfin la mise en place du sexe phénotypique (appareil génital féminin ou masculin). Dans son documentaire, Thierry Berrod a par exemple mis en image l’évolution du sexe phénotypique pour illustrer la transformation du tubercule génital du fœtus en vagin ou en pénis (voir le reportage et le livre Du baiser au bébé, respectivement en 2005 et 2009). Et nous serions tenté d’ajouter, toujours dans la perspective genrée qui nous intéresse, que ces images évolutives du corps à travers les âges de la vie humaine se retrouvent aussi dans les manuels scolaires illustrés des sciences de la vie et de la terre : les pédagogues contemporains représentent ainsi la puberté et le développement fonctionnel des organes génitaux mâles et femelles, comme une succession de corps évoluant de l’enfance à l’adolescence, jusqu’à l’âge adulte.

La critique que Wynne Neilly adresse à la notion de « female-to-male », à la dénomination passée de son corps comme « femme », mais aussi à sa dénomination future en tant qu’« homme », nous interroge sur la notion même du « devenir » [« -to- »]. Ce qui n’est pas sans lien avec la manière dont l’artiste compare ses modifications corporelles à celles d’un « adolescent en puberté » (2014b). Patrice Huerre décrit l’adolescence comme un concept flou et artificiel apparu au XIXe siècle pour valoriser une vision patriarcale de l’âge adulte en opposition avec une jeunesse jugée irresponsable (2001). D’après Huerre, il s’agit d’une « situation de flou entre deux âges », l’enfance et l’âge adulte, qui est « caractéristique des sociétés modernes occidentales » (p. 8). En convoquant l’idée d’une « seconde adolescence », il n’est pas question chez Neilly de se référer à une nouvelle préparation biologique des organes sexuels à l’acte reproductif, mais plutôt de s’intéresser à une identification floue de son corps qui se modifie, change d’allure et littéralement se trans-forme sous l’effet des hormones et des modifications corporelles. Marie-Claire Haelewyck, Monique Deprez et Mélanie Bara écrivent que :

D’un point de vue étymologique, « adolescence » vient du mot latin « adolescere » qui signifie « grandir vers ». Il s’agit donc d’un processus et non d’un état. L’adolescence correspond à une période de changement identitaire intense en raison de toutes les transformations corporelles, cognitives, sexuelles et sociales. (Haelewyck, Deprez & Bara 2003 : 77)

Cette définition de l’adolescence comme « processus », « période de changement identitaire », « transformations » correspond en tous points à la recherche artistique et identitaire de Wynne Neilly en tant que « trans ». L’étymologie de trans nous est donnée par le dictionnaire Larousse : « préfixe, du latin trans, au-delà, exprimant l’idée de changement, de traversée. »13 L’identité trans comme l’adolescence sont définies comme des périodes de transition entre les genres pour la première, entre les âges pour la seconde. Dans un cas comme dans l’autre, les sciences médicales maximisent l’importance des hormones dans les changements corporels, cognitifs, sexuels et sociaux visibles en train de se produire chez les adolescent.e.s et chez les trans. Être trans et être adolescent.e c’est en quelque sorte devenir le devenir en lui-même, c’est faire du « processus » un état physiologique possible. Cependant, à la différence de l’adolescence, le processus transgenre peut avoir lieu à n’importe quel âge. Contrairement à ce que préconise le corps médico-légal, il n’inclut pas nécessairement de thérapies hormonales et de gestes chirurgicaux, si bien qu’il peut même avoir lieu pendant l’enfance. Et ce qui fait l’intérêt du discours artistique de Wynne Neilly sur sa transidentité à l’œuvre, c’est que le trope de la « deuxième puberté » suggère la possibilité d’une marche arrière dans le temps à l’âge adulte. Il est possible de désordonner la chronologie de la vie telle qu’elle est habituellement représentée dans les arts et les sciences. Le geste et le discours artistiques viennent ainsi contredire l’inéluctabilité de l’avancée dans les représentations culturelles et artistiques des âges de la vie. Les propos de l’artiste orientent notre interprétation de ses œuvres qui ne peuvent plus être lues comme une réminiscence acritique des techniques visuelles du mouvement calquées sur la pensée évolutionniste, mais plutôt comme une involution créatrice, un anachronisme artistique, une contre-cinématographie du corps transgenre ou encore la performance d’une temporalité alternative. Cependant, cet usage critique d’une représentation visuelle du mouvement de la transformation corporelle chez Wynne Neilly n’est pas semblable à celui de Yishay Garbasz. En effet, Neilly ne montre pas comment « il » devient l’« homme » qu’« il » a toujours été, ille se décrit comme une personne trans faisant l’expérience d’une deuxième adolescence : son corps n’est ni féminin ni masculin, ni même féminin-devenant-masculin [Female-to-Male], il est simplement trans car perpétuellement en développement, il est pure adolescentia, sans aucune finalité identitaire ou physiologique. Au-delà du seul refus de la binarité du genre (féminin-masculin), cette expérience de la transidentité rend l’idée même d’« âges de la vie » totalement obsolète. Lorsque l’artiste désaligne le genre et le sexe, ille décentre « l’horloge biologique » (Touraille, 2011, p. 53) de la maturité sexuelle qui est liée à la fertilité des organes génitaux. Ainsi, ille réforme la temporalité de son corps, ne répondant plus au même ordre chronobiologique que celui des vies hétérosexuelles cisgenres. C’est ainsi qu’à travers les changements transgenres de son corps, ille parvient à vivre une “deuxième adolescence” qui succède à l’âge adulte.

Les sculptures-corps-performances de Kris Grey et Cassils : critiques artistiques d’une vision scientifique du sexe comme instant fécond et roc biologique du genre

La conception visuelle du temps dans les arts plastiques n’est pas uniquement conceptualisée à travers le proto-cinéma, le récit visuel de l’évolutionnisme et la représentation picturale des âges de la vie. Au siècle des Lumières, la théorie de l’art va s’emparer de la question du temps pour penser la représentation en peinture et en sculpture dans sa relation avec la poésie. Les spécialistes se demandaient alors si l’art devait renoncer à représenter le temps. Dans son essai influent intitulé Laocoon (1766), Gotthold Ephraïm Lessing écrit :

La peinture, dans ses compositions où tous les objets coexistent, ne peut saisir qu’un seul instant de l’action ; elle doit donc le choisir aussi fécond que possible, et tel qu’il fasse comprendre le mieux possible ce qui précède et ce qui suit. (Lessing 1802[1776] : 126)

Lessing s’appuie plus particulièrement sur le groupe sculpté de Laocoon. L’œuvre, inspirée de Virgile (Énéide, II, v. 199-226), représente le prêtre de Neptune et ses deux enfants au moment où ils sont attaqués et tués par deux énormes serpents, envoyés par Apollon du fond des mers. Le dieu grec souhaitait faire taire Laocoon qui mettait les Troyens en garde contre le grand cheval de bois laissé en offrande par les Grecs, il voulait ainsi voir s’accomplir la ruse d’Ulysse et permettre aux Grecs de renverser la cité de Troie. Lessing se réjouit que le Laocoon sculpté ne soit pas représenté en train de crier, mais seulement en train de gémir, car, selon lui, l’absence d’une violence expressionniste de la figure la fait perdurer dans le temps. Cet « instant fécond », qu’est le moment où la douleur s’apaise pour détruire le sujet souffrant, laisse les regards contemplatifs imaginer le récit de l’œuvre, la scène précédente (le cri de douleur) et suivante (la mort).

Cette conception classique de l’« instant fécond » tend à donner une vision figée de la figure sculptée, comme une fixation artistique d’une attitude ou d’une posture dans un matériau lourd et solide ; cette convention valorise et normalise l’idéalisation de la sculpture comme suspension d’une action, d’un geste en cours. Comme une sorte d’arrêt sur image taillée dans le marbre ou le bronze. C’est pourquoi Lessing affirme que le choix opportun de l’instant du récit, qui est, pour ainsi dire, mis en œuvre, est déterminant. Il permet à l’artiste de redonner un contexte historique à une scène qui a été décontextualisée de son récit par les propriétés strictement spatiales (et intemporelles) de l’art qui synthétise l’action en cours et, par ce biais, la magnifie (ce que le poète est incapable d’accomplir selon Lessing).

De la même manière que la sculpture classique, taillée dans la roche, immobilise les corps représentés, le sexe et le genre sont décrits par Freud comme des « rocs biologiques » (1985[1937]) inscrivant l’identité dans un corps à la forme immuable et monolithique qui est le « destin anatomique » du sujet (1992[1923] : 31). À l’instar des conceptions classiques de la sculpture comme instant fécond, la vision monolithique du corps chez Freud fait du sexe et du genre des concepts essentiels et intemporels. Le roc biologique de Freud est une métaphore matérialiste très intéressante pour la théorie de l’art. Comparer le biologique à un roc, à un bloc minéral, un monolithe, renvoie à la matérialité de la sculpture. C’est un peu comme si Freud affirmait que les corps sont des statues à l’effigie des idéaux hétérosexuels et cisgenres que sont la « masculinité-pénis » (la protestation virile) et la « féminité-castration » (l’envie de pénis). Rappelant le goût prononcé de Freud pour les sculptures classiques (le Moïse de Michel-Ange, les statues d’Athéna, la tête de Méduse), Bernard Freiman dira ainsi que :

Freud dans son approche analytique de la sculpture a été peu sensible à l’aspect tactile et maternel, mais plutôt à la problématique de la fonction paternelle et de l’organisation phallique. Le […] phallus a d’abord existé dans la pierre avant d’être peint ou évoqué par l’écriture. (Freiman 2008 : 158)

On pourrait nous opposer l’idée que l’instant fécond chez Lessing est différente de celle du roc chez Freud, car elle accorde davantage de place au processus et au devenir, il faut cependant rappeler que l’histoire suggérée par l’instant fécond de l’œuvre d’art classique est écrite par avance. Le récit est le destin de l’art pour Lessing, tout comme l’anatomie est le destin des individus pour Freud. L’art est le récit mythologique qui s’accomplit dans des représentations de la peinture ou de la sculpture. « La poésie est pour Lessing la matrice de la peinture » nous dit Elisabeth Décultot (2003 : 207). Lessing est d’autant plus sensible aux qualités plastiques du groupe Laocoon que l’œuvre se love dans le récit tragique de Virgile. Et cela même s’il revendique une autonomie de l’art par rapport au texte poétique. Ainsi, l’instant fécond partage avec le destin biologique de Freud son aptitude à graver dans le marbre un récit primitif. Chez Freud, le corps est la sculpture qui réalise le mythe judéo-chrétien de la différence sexuelle (Sédat 2008 : 138-139), toujours dictée par avance afin d’accomplir une prédestinée hétérosexuelle de l’humanité (« c’est un garçon », « c’est une fille »). À l’instar de la statuaire antique qui immortalise les corps, le sexe a, pour le psychanalyste, valeur d’éternité pour l’identité psychique et corporelle qui en est la détentrice. C’est le fameux éternel féminin dont Beauvoir dira qu’il « doit aussi être lisse, dur, éternel comme un caillou » (1976[1949] : 267), ce qui peut tout à fait s’appliquer à la masculinité. Et nous connaissons l’incidence de cette conception freudienne du sexe anatomique, défini comme le roc du biologique, sur les théories psychanalytiques (Jacques Lacan, Catherine Millot, Patricia Mercader, Colette Chiland, Pierre-Henri Castel14) et le féminisme radical (Janice Raymond, Mary Daly, Marilyn Frye, Germaine Greer15) de la période contemporaine qui opposent aux minorités transgenres l’origine biologique de la différence sexuelle. Nous allons cependant voir comment les artistes transgenres Kris Grey et Cassils contredisent l’immuabilité de la statuaire (quelle que soit sa matière), résistant du même coup, et par analogie, à l’immuabilité du « roc biologique » en matière de sexe et de genre.

En 2012, Kris Grey réalise Untitled16, une performance d’une heure pendant laquelle son corps se colle contre une sculpture en résine représentant un buste féminin, réalisée par Lania D’Agostino. Au terme de cette heure, l’artiste se déplace et se positionne à côté de la sculpture, présentant un torse masculin et un sexe socialement considéré comme féminin. La sculpture utilisée lors de la performance pourrait être un moulage du corps de l’artiste avant sa mastectomie, étant donné que D’Agostino travaillait avec Grey avant même son opération et son hormonothérapie. D’Agostino avait d’ailleurs réalisé trois sculptures de Grey, qu’elle expose généralement côte à côte, figurant le corps en transition de l’artiste transgenre avant les hormones, pendant la prise de testostérone et après sa mastectomie (Transgender Project, 201117). Untitled cherche à « déstabiliser la notion de corps statiques, immuables et immobiles »18, à travers la transitivité d’un corps féminin qui se meut vers un corps transgenre. Cette opposition entre l’image corporelle statique et en mouvement agit comme la confrontation d’une sculpture figurative de l’artiste (réalisée par D’Agostino, dont le regard devient indirectement la métonymie du regard social) avec son corps et sa performance. Le seul mouvement de se (dé)placer à côté de la sculpture devient la métaphore d’un mouvement corporel du féminin vers un autre genre : la rapidité et la simplicité de ce repositionnement du corps effectué par l’artiste, dans l’espace scénique, contraste avec les complications et la longueur du parcours transgenre dans l’espace social. Mais, en même temps, le fait de se libérer de cette reproduction du corps féminin de résine au terme d’une pénible heure d’attente, immobile et debout, représente la libération ressentie par Grey, après sa mastectomie, lorsque le corps recouvre enfin son adéquation avec l’identité de genre revendiquée par le sujet. Le dispositif artistique de la performance met l’immuabilité monolithique du sexe et du genre (symbolisée par la sculpture de D’Agostino) à l’épreuve du mouvement transitionnel du corps. Dans le même temps, comme Garbasz et Neilly, le geste de Grey perturbe l’ordre chronologique évolutionniste de la transition de genre par deux mouvements involutionnistes. Au début de la performance, Kris Grey se réincarne symboliquement dans son corps passé en venant placer son torse actuel contre la résine d’un portrait sculptural réalisé avant sa mastectomie (premier mouvement involutionniste). Mais, à la fin de la performance, l’artiste s’en détache afin de répéter métaphoriquement une modification corporelle antérieure, la mastectomie (deuxième mouvement involutionniste). La structure temporelle cyclique de l’œuvre renégocie la cinématographie du corps transgenre, peut-être pour exprimer une opération corporelle qui se répète indéfiniment. Cette recherche artistique suppose donc une contre-représentation du mouvement et de la temporalité du corps, elle propose une autre manière d’envisager la construction du genre, dépassant les visions segmentaires de l’avant et de l’après, du féminin vers le masculin. Dans le même temps, en confrontant son corps vivant à un portrait sculptural de celui-ci, Kris Grey propose indirectement de repenser la théorie lessingienne de l’instant fécond comme la possibilité de rendre l’immuabilité matérielle de sa sculpture-corps-performance plus mobile et capable de composer de nouveaux récits.

Dans l’œuvre intitulée Cuts: A Traditional Sculpture19, réalisée par Cassils en 2011, l’artiste réinterprète une performance féministe d’Eleanor Antin (Carving: A Traditionnal Sculpture, 1972) qui questionnait la minceur comme idéal féminin, photographiant quotidiennement l’évolution de son corps pendant une diète de trente-sept jours. Loin de reproduire la démarche artistique d’Antin en quête d’une définition critique de la féminité, la performance transgenre effectuée par Cassils consiste au contraire à se sculpter un corps masculinisé pendant vingt-trois semaines d’entrainement intensif, grâce à la musculation extrême, une alimentation hypercalorique et une cure de stéroïdes (huit semaines). Pour enregistrer la prise de masses musculaires et la transformation physique de son corps, Cassils (comme Antin) réalise des photographies de son corps suivant les plans anatomiques de référence (Time-Lapse, 2011), c’est-à-dire quatre photographies quotidiennes sous quatre angles (de devant, de derrière, du côté gauche et du côté droit). Le corps de Cassils devient l’illustration vivante de la « technologie du genre » dont parle Teresa de Lauretis (2007), et plus particulièrement de la manière dont les représentations artistiques des hommes nus dans la statuaire classique travaillent encore aujourd’hui la construction corporelle de la masculinité : le culte de la beauté masculine par la valorisation esthétique d’une musculature bien visible, le culte de l’effort physique, de la souffrance et de l’ascétisme, suivie de la promesse d’une félicité glorieuse. La masculinité apparente de Cassils démontre que, même s’il se présente comme un « roc » difficile à tailler, le genre est une sculpture corporelle qui peut être maitrisée et mise-en-scène par n’importe quel sexe (précisons que l’artiste a été assigné.e « femme » à la naissance). La performance de la masculinité chez Cassils reproduit donc la tradition artistique du nu masculin dans l’art classique, à travers la sculpture de son propre corps transgenre. L’aspect protocolaire et répétitif de l’œuvre est déployé afin de montrer que l’anatomie de la masculinité et du genre en général est incorporée selon un processus performatif qui, comme l’a démontré Butler, fonctionne sur le mode de la répétition stylisée d’actes et la citation de normes corporelles (Butler, 2005 [1990]). La performance transgenre, et les photographies qui enregistrent la transformation physique de l’artiste, parodient le caractère construit de la masculinité dite biologique. Par son geste, l’artiste montre que le roc biologique du genre est toujours déjà sculpté selon les préconceptions idéalisées de la société qui le sculpte, il est en fait une « œuvre biosociale » (Rabinow 1996 : 99). Cassils ironise sur cette idée de « sculpture-corps-performance » qui cherche à évoluer et progresser vers une incarnation toujours plus idéologique et idéalisée du genre ; il matérialise la théorie butlérienne selon laquelle le genre est une construction, un chantier identitaire et anatomique. Le processus transgenre du « corps en travaux » de l’artiste s’inspire d’une critique féministe de la fabrication normative de la féminité (avec sa référence artistique à la performance d’Eleanor Antin) pour mieux révéler la contrainte corporelle du sexe qui est en fait une sculpture anatomique se donnant la forme d’une Vérité originelle de la biologie, d’un roc biologique. En d’autres termes, ce que vient dénoncer et tourner en dérision Cassils, avec Cuts: A Traditionnal Sculpture, c’est l’idéologie et l’idéalisme qui sous-tend la démarche sculpturale de tout un chacun vers le genre, quel que soit le contexte corporel de ce processus (cisgenre ou transgenre). L’artiste n’enregistre les mouvements anatomiques de sa sculpture-corps-performance que pour montrer à quel point la recherche du genre idéal, en tant que complète différenciation hétérosexuelle, est insignifiante, fragile et artificielle : la (trans)formation du genre est une voie corporelle, dans laquelle le développement fonctionnel des organes sexuels (la fertilité) n’est pas forcément central. Chez Cassils, ni le sexe ni l’anatomie ne sont un destin. Ce qui vient fortement contredire l’idée freudienne d’un roc biologique de la différence sexuelle qui serait l’instant fécond du récit identitaire de la binarité de genre et des normes hétérosexuelles qu’il entraine dans l’organisation sociale du monde.

Conclusion

Nous avons vu en première partie que les représentations médiatiques consensuelles de la transidentité privilégient le trope de l’avant-après afin de faire sensation auprès du grand public majoritairement cisgenre. À l’appui des artistes étudié.e.s, nous avons tenté de montrer comment cette iconologie de l’avant-après peut être reliée à une perspective chronologique évolutionniste et cinématographique héritée du XIXe siècle. Nous avons établi que des artistes transgenres refusent toute identification à ce portrait sensationnaliste de l’avant-après, proposant des contre-usages de ces techniques visuelles et de la perspective évolutionniste dominante. Yishay Garbasz détourne l’esthétique cinématographique du XIXe siècle afin de présenter des changements corporels transidentitaires qui ne sont pas spectaculaires pour le regard cisgenre, mais démontrent au contraire que l’artiste devient la femme qu’elle a toujours été.

Nous avons aussi observé en deuxième partie que les représentations scientifiques du corps liées à la formation du genre s’indexent sur la représentation artistique des âges de la vie. Ces visions chronobiologiques de l’existence humaine, conduisant à inventer des catégories d’âges, sont centrées sur la maturité sexuelle et la fécondité du corps. Par la présentation artistique de son expérience transgenre, Wynne Neilly indique qu’ille ressent son corps comme s’ille vivait une « deuxième adolescence ». En disant et en vivant cela, l’artiste ne semble toutefois plus focaliser sa biographie sur le développement des organes reproducteurs, mais plutôt sur une esthétique identitaire de la transition permanente propice aux variations corporelles polymorphes : la voix, les poils, la musculature, les tatouages, etc.

Enfin, nous avons réfléchi en troisième partie à la conception du corps comme une sculpture biologique immuable et intemporelle dans le discours psychanalytique freudien qui fait encore autorité chez les professionnel.le.s de la santé mentale, ainsi que dans le féminisme radical. Kris Grey et Cassils proposent ainsi de réinvestir la vision classique de la statuaire qui est celle dont Freud s’inspire et qui est aussi celle qui domine dans les théories artistiques influentes de Lessing. En présentant leur corps comme une sculpture vivante, Grey et Cassils déconstruisent l’apparente immobilité et intemporalité de l’identité biologique des corps : illes (re)modèlent le roc biologique freudien pour en faire une œuvre biosociale (en se posant d’emblée en désaccord avec la chronobiologie sexuelle dominante) ; et illes repensent l’instant fécond de Lessing comme la possibilité artistique nouvelle de réécrire le récit biologique originel des corps (en considérant la binarité du genre comme un mythe contestable).

Recourant à une esthétique de la transition corporelle, l’art transgenre questionne l’idéologie politique de l’évolutionnisme, de la fécondité et de l’éternelle organicité sexuelle du corps humain, travaillant par le biais de contre-usages des techniques visuelles et des conventions esthétiques de la représentation artistique des corps aux prises avec le temps. En effet, loin de rejeter les technologies visuelles traditionnelles, les artistes transgenres proposent de s’en servir pour expérimenter de nouvelles temporalités corporelles, déconstruisant les idéologies que sont la marche évolutionniste de l’humain, les âges de la vie et l’immuabilité biologique du genre.

Yshay Garbasz décrit son corps féminin transgenre comme antérieur aux transformations hormonales et chirurgicales, elle bouscule alors les conceptions temporelles de l’identité en devenir (la distinction usuelle entre le passé et le futur) et suggère la possibilité d’un devenir involutionniste (devenir la femme qu’elle a toujours été) pour accéder à son identité de genre.

Avec sa consommation de testostérone et la formation du corps transgenre qui s’ensuit, Wynne Neilly provoque un retour à l’adolescence ; une « deuxième puberté » qui n’est plus indexée à la maturité sexuelle, puisqu’elle n’est plus corrélée aux fonctions reproductives des organes génitaux. L’œuvre renverse donc l’ordre temporel des âges de la vie, passant du stade adulte à une nouvelle version corporelle de l’adolescence. Son œuvre souligne la complexité de la construction identitaire au-delà des organes génitaux par l’archivage visuel et l’exposition artistique d’un corps transformé sous l’action de la testostérone et de l’« adolescence tardive » que l’hormone précipite.

Kris Grey rejoue son incorporation transgenre de façon cyclique, dans la performance, à travers la mise en scène de son corps avant et après la mastectomie, comme si la métamorphose n’était jamais totalement terminée, ce qui implique encore une autre façon de concevoir et de vivre sa subjectivité transgenre dans la perspective du temps.

Enfin, Cassils propose une déconstruction corporelle des normes esthétiques du genre, renouvelant la critique butlérienne à l’encontre de l’idéal hétérosexuel de la différenciation corporelle des genres. Le mouvement transgenre du corps à l’ouvrage de l’artiste est ainsi utilisé pour traduire la fragilité de la « destinée anatomique » et du « roc » de la biologie, malgré le temps qu’a pris la laborieuse construction biosociale de cette sculpture de soi.

L’art transgenre agit ainsi comme une répétition critique de l’iconographie chronologique et cinématographique du corps car, bien que s’appropriant les principes visuels de l’évolutionnisme, nous n’y trouvons pas de rectitudes, aucune « segmentarité dure » ou « logique binaire » (Deleuze & Guattari 1980 : 277), mais au contraire des lignes de fuites induisant d’autres mouvements et devenirs. En effet, l’esthétique de la transition corporelle produit une plasticité des genres ainsi qu’une multitude de parcours corporels : des perturbations directionnelles de la temporalité corporelle (passé et futur), des involutions, des cycles, des bifurcations, des instabilités, etc.

1 Si tant est que l’on puisse analyser les « marches du progrès » qui précèdent et succèdent à la célèbre image de Rudolph F. Zallinger comme un genre

2 Ancêtre du cinéma, le zootrope est inventé par William George Horner en 1834. Il s’agit d’un dispositif circulaire percé, posé sur un socle rotatif

3 Une vidéo du montage de l’installation est disponible sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=F5diBtcul_4 (consulté le 6 juillet 2019).

4 « En 1860, sans doute inventés par le Français Pierre-Hubert Desvignes, on voit apparaitre de drôles de petits livres qu’on appelle des folioscopes

5 Une analyse esthétique de la cinématographie du corps transgenre a déjà été suggérée par Susan Stryker (2007) et Eliza Steinbock (2019).

6 NdR : « Cisgenre » est l’antonyme de « transgenre », il désigne les individus non-trans, parfois qualifiés de « biologiques », dont le sexe de

7 Notre traduction. Version originale (en anglais) : « The piece looks at the viewers’ reactions in a way. In the beginning most people look at the

8 Voir par exemple les photographies de Christine Jorgensen dans le New York Daily News du 1er décembre 1952. Ou plus récemment Caitlyn Jenner.

9 Ce travail est lui-même influencé par les travaux de l’artiste Charles Le brun sur la physionomie au XVIIe siècle.

10 Ainsi, dans notre propos, l’image cinématographique ne renvoie pas nécessairement au film, elle désigne l’inscription du mouvement dans son

11 L’exposition est consultable sur le site de l’artiste : http://www.wynneneilly.com/femaletomale (consulté le 6 juillet 2019).

12 “ille“ (comme “iel“) est un pronom personnel inclusif mêlant le masculin “il“ et le féminin elle“ afin de désigner les sujets queer, transgenres

13 Voir : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/trans-/79047 (consulté le 6 juillet 2019).

14 Cf. Bourcier, 2005, p. 251-271.

15 Cf. Califia, 2003, p. 123-169.

16 L’exposition est consultable sur le site de l’artiste : http://kristingrey.com/section/309759-Untitled.html (consulté le 6 juillet 2019).

17 Kris Grey utilise d’ailleurs ces sculptures dans une autre performance intitulée Body Dialectic (2012).

18 Présentation sur le site de l’artiste (notre traduction) : http://kristingrey.com/section/309759_Untitled.html (consulté le 6/07/2019).

19 L’œuvre est consultable sur le site de l’artiste : http://cassils.net/portfolio/cuts/ (consulté le 6 juillet 2019).

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1 Si tant est que l’on puisse analyser les « marches du progrès » qui précèdent et succèdent à la célèbre image de Rudolph F. Zallinger comme un genre artistique à part entière.

2 Ancêtre du cinéma, le zootrope est inventé par William George Horner en 1834. Il s’agit d’un dispositif circulaire percé, posé sur un socle rotatif, à l’intérieur duquel est disposée une série d’images figuratives venant décomposer le mouvement d’une personne et d’un animal. Lorsque l’on fait tourner l’appareil sur lui-même, nous avons l’impression de regarder les images animées de ce mouvement.

3 Une vidéo du montage de l’installation est disponible sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=F5diBtcul_4 (consulté le 6 juillet 2019).

4 « En 1860, sans doute inventés par le Français Pierre-Hubert Desvignes, on voit apparaitre de drôles de petits livres qu’on appelle des folioscopes (du latin folium, la “feuille”, et du grec ancien skopein, “observer”), ou encore des flip books, qui fonctionnent sur le principe très simple de l’effeuillage rapide avec le pouce d’une série empilée de vignettes dessinées dont la succession donne l’illusion d’un mouvement continu. » (in Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, 2010, p. 527)

5 Une analyse esthétique de la cinématographie du corps transgenre a déjà été suggérée par Susan Stryker (2007) et Eliza Steinbock (2019).

6 NdR : « Cisgenre » est l’antonyme de « transgenre », il désigne les individus non-trans, parfois qualifiés de « biologiques », dont le sexe de naissance est en adéquation avec le genre.

7 Notre traduction. Version originale (en anglais) : « The piece looks at the viewers’ reactions in a way. In the beginning most people look at the genitals—yes, no—but then they continue to look. The most interesting part about the piece is the hair. […] The genitals occupy so little of the body in terms of percentage, and the legs and arms don’t change. I’m the same person that I always was. To put it more clearly: I’m the same woman I always was. I wanted to bring that to light because the before-after trope is boring and clichéd, contrary to what hundreds of CIS photographers would have you believe. I wanted to create something more real, and not about before and after. »

8 Voir par exemple les photographies de Christine Jorgensen dans le New York Daily News du 1er décembre 1952. Ou plus récemment Caitlyn Jenner.

9 Ce travail est lui-même influencé par les travaux de l’artiste Charles Le brun sur la physionomie au XVIIe siècle.

10 Ainsi, dans notre propos, l’image cinématographique ne renvoie pas nécessairement au film, elle désigne l’inscription du mouvement dans son ensemble, y compris dans la chronophotographie et les dessins qui suggèrent la décomposition d’un mouvement.

11 L’exposition est consultable sur le site de l’artiste : http://www.wynneneilly.com/femaletomale (consulté le 6 juillet 2019).

12 “ille“ (comme “iel“) est un pronom personnel inclusif mêlant le masculin “il“ et le féminin elle“ afin de désigner les sujets queer, transgenres, intersexués ou agenrés.

13 Voir : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/trans-/79047 (consulté le 6 juillet 2019).

14 Cf. Bourcier, 2005, p. 251-271.

15 Cf. Califia, 2003, p. 123-169.

16 L’exposition est consultable sur le site de l’artiste : http://kristingrey.com/section/309759-Untitled.html (consulté le 6 juillet 2019).

17 Kris Grey utilise d’ailleurs ces sculptures dans une autre performance intitulée Body Dialectic (2012).

18 Présentation sur le site de l’artiste (notre traduction) : http://kristingrey.com/section/309759_Untitled.html (consulté le 6/07/2019).

19 L’œuvre est consultable sur le site de l’artiste : http://cassils.net/portfolio/cuts/ (consulté le 6 juillet 2019).

Luc Schicharin

Docteur en arts, CREM, Université de Lorraine, plasticien. Ses recherches portent sur les pratiques du corps dans les arts, sur les usages et les pratiques artistiques des théories féministes, queers, transgenres et postcoloniales, ainsi que sur les figures de la « post-humanité » dans la création artistique contemporaine (les extraterrestres, les transspécistes, les cyborgs). Actuellement, il étudie les constructions complexes de la subjectivité permettant à une identité dominante comme la sienne d’être affectée par les problématiques sociales et politiques vécues par les groupes minoritaires.

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