Qui sommes-nous ?
Mon nom : Sarah. Mes 30 ans sont à la porte. Quand vous lirez ceci, ils seront déjà là. Je suis un pur produit de l’école et de l’université. Après une licence et un master en philosophie à Paris, je suis partie faire mon doctorat à Montréal ; je viens de le terminer. En 2013, j’ai fait partie de l’équipe à l’origine de Fillosophie. Je commence un post-doc à New York cet été. C’est à la fois la fin et le début d’un parcours. Un parcours parsemé de privilèges ― ma situation sociale, mon groupe « racial », mon éducation, mon lieu de naissance et j’en passe ; et de quelques embûches ― l’une d’elles : être une femme en philosophie. Aujourd’hui, Cloé et moi, on vous en parle.
Je m'appelle Cloé. Je suis une étudiante québécoise à la maîtrise en philosophie à Montréal. Je m'intéresse depuis peu de temps à la question de la diversité et de l’égalité en contexte académique et social, en plus de compléter un mémoire de recherche sur un sujet qui n'a rien à voir avec ces enjeux, soit le concept de langage privé chez le philosophe Ludwig Wittgenstein. Au jour le jour, je nourris l’humble projet de faire de mon entourage un espace plus juste. J’apprends à tâtons, de ma perspective de personne blanche, quelles sont les limites de l'espace que je peux prendre dans la lutte pour la diversité, laquelle a commencé, pour moi, quand j'ai rejoint Fillosophie à l'hiver 2015.
Défis et enjeux pour la place des femmes1 en philosophie
D'entrée de jeu, on souhaite souligner que si notre perspective se situe à propos et à partir de nos expériences d'étudiantes en philosophie, on pense pourtant qu'elle est généralisable ― et qu'elle doit être généralisée ― à l'intérieur et à l'extérieur du monde académique. Parce que l'université n'est pas le théâtre exclusif où se déroulent les inégalités liées au genre, à la « race », à la classe sociale, à l'apparence, aux capacités, etc., parce que le monde académique comporte son lot de contradictions et d'oppressions, aux niveaux individuel et institutionnel, il est permis de considérer l'université comme s’il s’agissait d’une microsociété qui reproduit les mêmes structures oppressives et familières que l'on retrouve à la sortie des classes, lorsqu'on passe ses portes.
Si on peut penser que la philosophie est la discipline par excellence d'où peuvent foisonner des réflexions humanistes sur le Bien ou le Juste (on classe d'ailleurs la philo sous l'appellation Humanities, en anglais), il est pour le moins étonnant d'observer qu'elle reproduit, de manière particulièrement tenace et insidieuse, des structures d'oppression responsables d'inégalités et d'injustices criantes. La philosophie, en effet, se targue généralement d'être la discipline qui permet de comprendre les grands -ismes, tel que le réalisme, le naturalisme, ou encore le libéralisme pour n’en citer que quelques uns. On pourrait donc s’attendre à ce qu’elle soit la première à nous faire comprendre les problèmes que posent le racisme, le sexisme, le capacitisme, le classisme, le spécisme, l'âgisme, et plusieurs autres. Comment se fait-il alors que ce que l'on entend par philosophie (littéralement, en Grec, philo – aimer, chercher ; et sophia – connaissance, savoir, sagesse) cadre si peu avec les défis liés à la diversité des groupes sociaux et à la justice, pourtant nombreux, qui configurent depuis toujours la discipline ? Les Grecs du temps de Platon, champions de la vertu, faisaient de la philosophie l'apanage exclusif des hommes blancs, dont les plus privilégiés furent par ailleurs propriétaires d'esclaves. Comment rendre compte de ces comportements et de ces systèmes idéologiques qui se présentent à la fois comme les derniers bastions de l’Esprit Critique et comme des structures reproductrices d’oppression ?
Nous vous proposons ici un aperçu, un état des lieux, d’une partie de la réponse à cette question : celle qui concerne la place des femmes en philosophie. Parmi les inégalités et injustices que le monde de la philosophie renferme et reproduit, on retrouve la discrimination envers le genre féminin. C’est sous cet angle et d’après nos expériences personnelles que nous vous répondons aujourd’hui : la philosophie est un domaine dominé par le genre masculin. Et c’est la philosophie elle-même qui justifie cette domination, qui est bien ancrée dans les mentalités par un ensemble de tactiques insidieuses, conscientes et inconscientes, constamment renforcées par le contexte systémique oppressant qu'elle met en place et qu’elle maintient. Les femmes philosophes ont du pain sur la planche. Encore une fois, cette situation d’oppression n’est ni le seul lot des femmes, ni le seul lot de la philosophie. Les injustices et oppressions liées à la « race », aux situations économiques et sociales, aux handicaps, etc. ne sont pas ou peu abordées ici, mais doivent également être considérées, et de manière tout aussi urgente, dans la réflexion sur la diversité et l'égalité.
Un domaine masculin…
Admettons que vous soyez une femme et que votre situation socio-économique et personnelle soit ainsi faite que vous ayez la possibilité de vous inscrire à l’université. Admettons donc que vous n’ayez pas seule la charge d’un ou plusieurs enfants, que vous ne soyez pas en obligation de cesser vos études, que vous n’ayez pas à travailler à temps plein. Vous avez la liberté de vous inscrire dans le programme d’études de votre choix. Pourquoi ne choisiriez-vous pas la philosophie ? D’abord, parce qu’une telle discipline ne semble pas particulièrement adressée aux femmes.
Quel que soit votre niveau en philosophie, votre expérience de philosophe ou de néophyte, que vous soyez docteur-e, prof-e, étudiant-e, ou que vous n’ayez jamais mis les pieds dans un cours, vous connaissez les noms de Platon et Kant et vous avez surement une idée de qui est BHL ou Onfray si vous vivez en France ou au Québec. Plus difficile, par contre, de trouver les noms de plus d’une ou deux femmes philosophes sans réfléchir un peu plus longuement ou aller voir sur internet. Oui, vous avez dû entendre parler une ou deux fois de la copine de Sartre ou de l'amoureuse de Martin Heidegger... Pensez aussi au stéréotype du philosophe : n’est-ce pas cet homme, blanc et barbu (voire même mort) ? Ici encore la philosophe n’est pas celle qui vous vient à l’esprit tout de suite. La philosophie donc, semble être faite par des hommes. Pour des hommes. Deux de nos collègues étudiant-e-s ont fait quelques statistiques sur les plans de cours de philosophie de l’Université du Québec à Montréal. En moyenne, 83 % des textes étudiés dans les cours sont écrits par des hommes, seulement 17 % par des femmes. Peut-être est-ce tout simplement parce qu’il y a moins de femmes qui s’intéressent à la philosophie ? Vous allez voir que, justement, ce n’est pas si simple. Certes, il y a moins de femmes philosophes que d’hommes philosophes. Mais s’arrêter à ce constat serait une explication bien insuffisante de la situation. Regardons cela de plus près.
La philosophie est une discipline qui fait intervenir l’argumentation, la pensée critique, la logique et la rigueur. Rendez vous à une conférence de philosophie, n’importe laquelle (ou presque) et vous aurez des chances d’y voir des gens se couper la parole pendant la période de questions et gagner le tour s’ils parlent assez fort. Vous aurez peut-être même droit à quelques joutes verbales et attaques en règle de la conférencière ou du conférencier. Finalement, vous assistez davantage à un combat argumentatif (on est généreuses, parfois l'argument est supplanté par un monologue sans lien apparent à la conférence) qu’à de sincères questionnements sur le contenu de la présentation. Loin de l'idéal socratique où l'on prônait une attitude humble, toute entière tournée vers le savoir et la découverte de la vérité, vous observez plutôt ici la forme creuse d'une querelle qui n'a de visée autre que celle de produire un vainqueur : c'est le meilleur philosophe. Qu'à cela ne tienne, nous vivons dans une société où les caractéristiques suivantes sont bien souvent associées aux traits de caractère masculins : l'autorité, la course à la victoire, la domination. Le meilleur philosophe est quelqu'un qui coïncide parfaitement avec son milieu : il s'y sent toujours chez lui. En effet, la société valorise l’action et la prise de pouvoir pour les hommes et non pas pour les femmes, que l’on attend plutôt calmes, douces et avenantes. Autant vous dire que le peu d’entre elles qui osent prendre la parole dans ce genre de contexte ont intérêt à être d’excellentes receveuses de jugements sur leur personnalité. Voilà un tableau qui peut constituer un début d’explication pour comprendre pourquoi plusieurs femmes ne se lancent tout simplement pas en philosophie.
Malgré cela, vous nous trouvez spéculatives ? Très bien, restons rigoureuses. Après tout, nous sommes passées maîtresses dans l’art de justifier scientifiquement les situations problématiques qui configurent notre quotidien, alors autant en profiter. Avant de reprendre notre exutoire de « bourgeoises frustrées » (on n’invente pas le terme, il vient d’un prof de chez nous) voici donc quelques chiffres qui font état de la sous-représentation des femmes en philosophie :
35 % = Proportion d’étudiantes femmes, par rapport aux étudiants hommes, au département de philosophie de l’Université du Québec à Montréal. À l'UQAM, pour l’année 2017-2018, on ne compte que 34 étudiantes pour 105 étudiants au niveau du baccalauréat en philosophie2, 14 étudiantes pour 39 étudiants au niveau de la maîtrise, et 9 étudiantes pour 17 étudiants au niveau doctoral [Figure 1]3.
26 % = Proportion des femmes professeures et chercheures employées dans un département de philosophie dans les universités du Québec pour l’année 2017-2018, par rapport aux hommes [Figure 2].
20 à 30 % = Proportion de femmes composant le corps professoral des départements de philosophie dans le monde ; que ce soit au Royaume-Uni (18 % en 2009), en Australie (23 % en 2006), aux États-Unis (22 % en 2009) ou au Canada (31 % en 2011) (Di Croce 2015).
15,5 % = Proportion de professeures et chercheures qui sont des femmes au département de philosophie de l’UQAM, par rapport aux hommes. Le département est composé de 13 hommes et 2 femmes.
20,7 % = Proportion de femmes employées dans le domaine de la philosophie aux États-Unis, par rapport aux hommes. Parmi les philosophes employé-e-s à temps plein aux États-Unis en 2003, les femmes constituaient 16,6 % des 13 000 professeurs d’université (2,158 / 13 000) et 26 % des 10 000 enseignants à temps partiel (2,600 / 10 000). En d’autres mots, il y a 4,758 femmes sur 23 000 hommes philosophes employé-e-s aux États-Unis en 2003 (Norlock 2011).
23,14 % = Proportion de femmes ayant obtenu des postes d’enseignement aux cycles supérieurs en philosophie entre 2002 et 2015, aux États-Unis (données recueillies dans 98 universités, Van Camp [2015]).
31,4 % = Proportion de femmes ayant obtenu un doctorat en philosophie dans des universités américaines en 2011, par rapport aux hommes (Haslanger 2013, voir également Healy 2011). [Figure 3].
17 % = Proportion approximative d’auteures femmes étudiées dans les cours de philosophie du département de l’Université du Québec à Montréal en 2017-2018 [Figure 4]4.
Reprenons notre petite expérience de pensée. On peut dire qu’au vu de ces chiffres, il semble difficile de vouloir s’inscrire dans un programme de philosophie. Mais peut-être êtes-vous prête à relever le défi. Ou bien tout simplement, comme nous l’étions nous-mêmes en choisissant ce domaine d’études, vous êtes totalement inconsciente de cette situation problématique et foncez à toute allure, candide dans le meilleur des mondes. Alors, dans ce cas, pourquoi pas la philo ?
Si vous souhaitez entreprendre des études à temps plein, dans n’importe quel domaine, vous êtes probablement encline à envisager que certains obstacles ordinaires se mettront parfois en travers de votre route, et que votre aventure ne sera pas qu’une partie de plaisir. Ainsi va la vie. Parmi les obstacles qui n’ont pas de quoi surprendre, on peut penser à des moments de fatigue, de maladie, à une peine d’amour, un déménagement, un licenciement, par exemple. Qui plus est, si vous faites partie d’un groupe qui n’est pas celui de l’homme blanc bien nanti, vous serez non seulement confronté-e-s aux aléas ordinaires de la vie, mais aussi à des obstacles qui sont conçus sur mesure pour vous. On souhaite à présent vous brosser ce tableau, en ce qui concerne les femmes en philo, comme on aurait peut-être aimé que quelqu’un le fasse pour nous. Soyons claires. Notre objectif n'est pas de vous décourager d'entreprendre ces études, mais plutôt de vous partager notre expérience afin de faire voir ce qui peut être fait d'emblée, sans trop de mal, pour se munir des outils permettant de passer à travers cette épreuve.
Avant de nous lancer dans cette étude, notons d'emblée qu’il n’est pas nécessaire d’imaginer que tous ces obstacles devraient être rencontrés en même temps et tous ensemble pour avoir raison de l’étudiante la plus résiliente. Parfois, un seul d’entre eux suffit à décourager définitivement une personne de poursuivre ses études, et avec raison. Réciproquement, il est permis de penser que tous ces obstacles réunis devront être surmontés pour qu’une personne marginalisée puisse seulement oser penser à poursuivre ses études dans un tel milieu. Il va sans dire que ces obstacles affectent de manière différenciée les personnes issues de différents groupes sociaux.
Quels modèles pour les femmes en philo ?
Reprenons à présent la question qui nous intéressait et voyons comment y répondre à la lumière des obstacles que nous mettrons en relief. Pourquoi pas la philo ? Voici une première réponse : parce qu’il est permis de croire que se lancer dans une carrière, ou même tout simplement considérer un domaine d’intérêt, demande d’avoir quelques exemples autour de soi. Et les chiffres parlent : peu de femmes philosophes, comme on l’indiquait quelques lignes plus haut.
La décision est prise, vous allez vous inscrire en philosophie, contre vents et marées. Vous allez devenir l’exception à la règle, le modèle que vous n’avez pas eu ! Mais qu’en pensent vos proches ? Il est bien possible qu’on vous demande ce que vous allez faire avec ça, comment vous allez gagner votre vie, ou si vous connaissez qui que ce soit ayant réussi là-dedans, et ce que ça vient faire là cette drôle d’idée de faire de la philosophie. Votre entourage est-il en mesure de vous soutenir moralement dans vos choix ? Vous demande-t-il à chaque réunion de famille ce qu’est un [sic] philosophe ? Ce que ça mange en hiver ? Ce que ça gagne, un philosophe ? Est-ce qu’on vous considère comme une espèce de créature arrogante œuvrant dans un domaine qui n’aura jamais d’application pratique, à vaincre des moulins à vent telle une Don Quichotte dont le courage n'a d’égal que sa désillusion ? ! Si vous avez la chance d’avoir un entourage favorable et motivant à vos côtés, vous pouvez passer à l’obstacle suivant. Vous réussissez cette étape et vous notez au passage que vous appartenez à une espèce rare ! Là encore on a déjà de fortes chances d’avoir un plus haut pourcentage d’hommes que de femmes qui n’ont pas à faire face à cet obstacle, puisque la philosophie, si elle n’est pas faite pour grand monde, n’est certainement pas faite pour les femmes, de toute façon. Pour celles qui constituent ce petit pourcentage, ou celles qui arrivent à surmonter cette étape, la course d'obstacles ne fait que commencer.
Le prochain obstacle potentiel concerne spécifiquement votre futur domaine : la philosophie. Êtes-vous considérée comme ayant des aptitudes pour la philosophie ? Savez-vous même ce que cela signifie ? Êtes-vous prête à défendre toutes vos opinions philosophiques comme si votre vie en dépendait, devant des détracteurs avides de décider que vous êtes ou non « douée pour une femme » ? Êtes-vous prête à vous tailler une place dans un monde où « faire ses preuves » consiste à jouer un jeu décidé par des hommes blancs confortables et confiants ? Si oui, votre place est en philosophie. Sinon, vous pouvez encore changer d’idée. Rappelez-vous, à ce stade, vous vous préparez simplement à vous inscrire !
Vos nouveaux rôles
Le rôle d’experte
Admettons que vous envisagiez tous ces obstacles avec une mentalité de guerrière solitaire plutôt sereine. Vous vous rassurez dans vos appréhensions par l’idée que ces obstacles envisageables sont jusqu'ici des faits abstraits et sans visage, inoffensifs : vous n'avez pas de bâtons dans les roues. Après tout, peut-être aurez-vous de la chance. Peut-être que tout ira bien, que ce sera facile. Vous arrivez dans ce monde qui ne vous est pas ouvert (mais pas fermé non plus !). Il est temps de s’y mettre. Vos cours sont principalement donnés par des hommes qui vous font lire des hommes, vos collègues sont des hommes, on lit tous ensemble des textes écrits par des hommes, qui parlent du Bon, du Bien, de la Justice et de la Vérité, on parle aussi des hommes, avec un petit ‘h’, pour parler des humains et de l’Homme avec un grand H, pour parler de l’Humain. Au départ, rien de tout cela ne vous apparait étrange. Peu s’en faut pour que vous vous imaginiez appartenir à une frange particulièrement résiliente de l’humanité, ou encore que vous pensiez être une femme particulièrement chanceuse d’avoir fait son entrée dans le boys club si convoité. Presque tout le monde est blanc, érudit, content.
Vous participez à cette fête jusqu’à ce que vous remarquiez le climat qui s'immisce de sous les pupitres, par la porte, le plafond, le plancher, ce climat qui vous fait battre en retraite, battre le cœur. Très vite, vous prenez son pouls (au climat, pas à votre cœur – déjà, vous n’écoutez plus beaucoup votre cœur, vous êtes sur un mode défensif, vous ne doutez de rien, sauf de vous) : on ne veut pas de vous pour les travaux d’équipe, certain-e-s prof-e-s ne vous donnent jamais la parole, on vous décrit comme étant « charmante » ou « sympathique », mais jamais comme étant « brillante » ou « douée ». On s’intéresse à vous parfois, mais pas souvent pour vos idées. On vient vers vous pour vous expliquer des choses, ça oui ! On vous propose des emplois administratifs d’arrière-plan, car les femmes sont naturellement de bonnes secrétaires. Vous vous isolez de plus en plus et croyez de moins en moins à votre pertinence. Vous êtes une imposteure, honteuse devant votre imposture. Si vous pensez avoir quelque chose à dire, ou des questions à poser, vous risquez de questionner votre légitimité un bon nombre de fois avant de tout simplement oser le faire. Vous vous mettrez dans un état pas possible, vous serez prise de vertige, avant de renoncer à votre question, alors même que vos collègues hommes eux, n’hésitent pas.
Mille fois vous revivrez cette situation, en vrai et en imagination. Vos collègues doivent être meilleurs que vous s’ils y arrivent si bien. Ils vous reprocheront souvent votre sensibilité et votre susceptibilité. C’est surement vous le problème. Et quand vous osez timidement lever la main, le prof ne vous voit pas. Vous la levez plus haut, mais malheureusement, avant qu’on puisse vous donner le droit de parler, votre collègue de droite l’a déjà pris tout seul. Et sa voix couvre le petit bruit qui commençait à sortir de votre bouche. Raté, ce sera pour la prochaine fois. Cette prochaine fois se présente, car vous ne jetez pas l’éponge, vous sentez votre cœur battre la chamade, levez la main bien haut, la parole est à vous et votre collègue bruyant n’est pas là. Vous proposez une explication au concept étudié. On donne la parole ensuite à votre collègue de gauche qui répète vraisemblablement la même chose. Selon le prof, c’est une très bonne intervention qu’il a faite là. Remarquable (littéralement) ! Ce genre de choses arrive fréquemment. Et le prof n’est pas un macho, n’a pas de problème avec les femmes, n’a jamais eu de comportement sexiste, vous dit-on. Non, non. Et vous vous dites que votre collègue a surement mieux expliqué la situation que vous, qu’il a été plus clair.
Vous vous demandez ce qui est le pire entre : (1) le fait que votre collègue vous prête si peu d’attention, qu’il répète tout bonnement votre propos sans s’en rendre compte ; (2) le fait que votre collègue reprenne l’idée qui est la vôtre avec un ton fier et assuré pour se faire du capital politico-académique sur votre dos ; (3) le fait que de toute évidence, votre prof-e n’envisage ni l’un ni l’autre de ces scénarios. Vous venez de perdre 6 minutes de cours à nourrir ce débat avec vous-même. Vous commencez à songer au fait troublant que peut-être, vous êtes la meilleure personne dans la salle avec qui avoir un débat honnête. Ici, le prof, le collègue et vous-même, agissez à travers un certain nombre de biais, tout à fait fréquents et inconscients, dont on vous parle dans un instant. En attendant, toute cette situation s’inscrit dans un cadre biaisé duquel vous êtes maintenant partie et actrice. Si vous voulez réussir, il va falloir redoubler d’effort. Pas seulement parler plus fort, mais moins hésiter à le faire. Pas seulement travailler dur, mais travailler très dur ; pour que votre travail ne soit pas noyé dans la masse, mais ressorte du lot.
Imaginez que vous travaillez, vous travaillez dur. Vous y arrivez, même. Vous êtes excellente et on commence à constater votre existence. Pourtant, on ne vous entend toujours pas beaucoup. La reconnaissance n’est pas tout à fait à la porte. Vous devez prendre conscience de ce qui se passe. Et pas seulement le garder pour vous, mais le crier haut et fort. Vous allez vite devoir endosser un deuxième rôle important si vous voulez rester dans ce milieu : celui de sensibilisatrice.
Le rôle de sensibilisatrice
Le fait que cette communauté ne soit pas un lieu très accueillant pour les femmes (on apprend vite à parler par euphémismes), est un problème peu constaté et peu reconnu. Pourtant, il fait des ravages. Ceux qui vous expliquent que personne n’empêche les femmes de s’inscrire vous diront aussi que personne ne les empêche de continuer, ni ne les force à abandonner, ni même ne leur met de bâtons dans les roues. Si vous ne vous sentez pas à l’aise, vous allez mettre ça avant tout sur le compte du domaine : et si ce n’était pas votre truc, la philosophie, finalement ? Les femmes elles-mêmes qui sont en philosophie ne se rendent pas nécessairement compte du problème, ni des efforts supplémentaires qu’elles doivent fournir par rapport à leurs collègues masculins. On a vu les chiffres : beaucoup de femmes arrêtent en cours de route. Parce qu’évidemment, si un domaine vous est hostile, vous aurez tendance à penser que c’est le domaine qui n'est pas pour vous. Pourtant en philosophie, c’est d’abord vous qui ne convenez pas au domaine. Ce domaine ne veut pas de vous même si vous avez toutes les compétences nécessaires. Pour continuer, il va falloir en prendre conscience.
Si vous vous rendez compte du climat discriminatoire qui règne autour de vous, que vous osez essayer d’en parler, on vous demandera immédiatement justification. Vous allez alors vous heurter aux sensibilités de personnes qui confondent les problèmes personnels et systémiques et qui vont vous dire que, non, elles n’ont aucun problème avec les femmes. Vous expliquez, vous faites référence aux biais, aux injustices qui proviennent d’un système et non pas des individus, vous êtes patiente et rigoureuse : vous allez chercher des chiffres, des études, des explications théoriques, voire scientifiques. Et sans même vous en rendre compte, vous devenez une sensibilisatrice hors pair, une connaisseuse de certains enjeux, une personne-ressource pour vos collègues femmes qui n’ont pas d’autre modèle que vous, une capricieuse selon votre département et vos autres collègues, une féministe qui doit se justifier de l’être. Vous allez peut-être devenir militante ! Et plutôt que de penser que c’est parce qu’il y a des problèmes à régler, on va penser que c’est parce que vous aimez ça ― les conflits ― ou que vous avez quelques frustrations à régler. Qui n’aimerait pas en effet consacrer le plus clair de son temps à une besogne qui n’a rien à voir avec ses études, qui donne froid dans le dos et une boule dans la gorge, et qui consiste à aller contre le vent sur son lieu d’étude et de travail, au milieu de collègues et employeurs qui, pour la plupart, se porteraient mieux sans vos revendications ?
Vous souhaitez malgré tout cela continuer en philosophie. Vous vous demandez si vos revendications sont entendues ou si elles contribuent à une montée de la tension que vous devez affronter chaque jour. Vous cherchez à savoir si vous recevez plus de haine que de soutien dans vos démarches. Êtes-vous fatiguée du fait que cette lutte vous définisse et qu’on ne s’imagine même plus que vous êtes à l’université parce que vous aimez la philo ? Pensez-vous toujours que le jeu en vaut la chandelle (que vous brûlez par les deux bouts) ? Est-ce que vous allez bien ?...
Les conséquences de votre double mandat
Bravo ! Les deux conditions sont réunies pour que votre place soit faite en philosophie : vous êtes bonne en philosophie et vous êtes consciente des difficultés inhérentes au fait d’être une femme dans ce milieu. Vous êtes même active dans la communauté philosophique dans l’espoir de faire bouger les choses. Tout cela au détriment de votre temps libre, de votre repos et de votre domaine d’étude. Avez-vous encore du temps pour vos études en philosophie ? Si par miracle vous répondez « oui », c’est que vous avez fait le pari d’être une femme en philosophie ! Attendez-vous à ce que personne ne remarque qu’il s’agit d’un exploit, et poursuivez votre route sans trop vous retourner : vous aurez besoin de beaucoup de vent dans vos voiles pour perdurer jusqu’à l’obtention de votre diplôme.
Chaque investissement dans l'un de ces deux rôles ― celui d’experte et celui de sensibilisatrice ― se fait au détriment de l’autre. Votre temps de travail est amputé par celui que vous passez à sensibiliser votre entourage. Et si vous travaillez sur vos cours ou vos recherches, comment allez-vous agir utilement dans votre communauté ? Le rôle de sensibilisatrice vous mène à rencontrer des femmes qui éprouvent des difficultés et sont sujettes à de la discrimination. Ce rôle de conseillère, d’aidante, implique des prises de décisions, des plans d’aide, de nouvelles initiatives (discuter au sein du département, se renseigner sur les démarches à mettre en place, apprendre à écouter et à réagir face à des situations parfois graves). Tout ça demande du temps, de l’énergie et une sacrée force morale.
Votre spécialisation en prend un coup : vous commenciez à vous spécialiser en philosophie médiévale ? en sciences cognitives ? en logique ? vous développiez une expertise obscure mais passionnante sur Wittgenstein ? C’est bien beau tout ça. Mais votre travail de sensibilisatrice vous demande des recherches dans un autre domaine : celui de la philosophie féministe, ou plus largement de la philosophie politique. Vous cherchez des justifications pour qu’on vous prenne au sérieux et vous vous mettez à travailler sur les concepts de « discrimination », d’« injustice systémique et épistémique ». Par défaut, vous vous spécialisez dans un domaine parallèle. Bientôt, vous ne travaillez plus sur votre mémoire, sur votre thèse, qu'à vos heures perdues. C’est l’étiquette qu’on va vous faire endosser rapidement. Il y a bien d’autres personnes à aller chercher pour les sciences cognitives. On s’intéressera éventuellement à vous pour vos connaissances en philosophie féministe. Un beau résultat que celui-là : le féminisme est étudié par les femmes, la « vraie » philosophie peut continuer d’être le travail des « vrais » philosophes : les hommes. Et puis la philosophie féministe est un domaine de recherche qui demande un plein investissement, comme tous les domaines de la philosophie. Être militante ne vous a pas rendue suffisamment à la pointe des recherches pour pouvoir en faire votre domaine d’expertise. Il va falloir laisser tomber un peu le militantisme si vous voulez faire vos preuves en philo, rédiger votre mémoire, votre thèse, devenir professeure, ou publier votre prochain article.
Finalement, c’est tout un tas d’obstacles que vous allez devoir franchir pour être une femme en philosophie. Le schéma ci-dessous [Figure 5] propose une représentation des obstacles qui doivent être franchis pour accéder aux études en philosophie (Arnaud et Medeiros Ramos, 2015). La plupart de ces obstacles, à la lumière de ce que nous venons d’expliquer, sont plus difficiles à franchir pour les femmes. Nous pensons par ailleurs que ce parcours d’obstacles peut s’appliquer à d’autres disciplines et à d’autres groupes et contextes sociaux et professionnels en dehors du milieu académique.
Les biais implicites comme facteur pouvant expliquer en partie la sous-représentation féminine en philosophie
Les tentatives pour expliquer les raisons qui font que le domaine de la philosophie est réservé aux hommes ne manquent pas dans le paysage académique. À qui, à quoi la faute ? On place parfois la faute sur les femmes elles-mêmes, qui ne seraient pas douées pour la philosophie, les mathématiques ou les sciences en général. C’est d’ailleurs ce qu’expliquent certains philosophes masculins, jeunes et moins jeunes, au nombre desquels on retrouve sans surprise les Nietzsche, Hegel, Stuart Mill et bien d’autres. Selon l’école philosophique à laquelle on appartient, on peut soutenir que les femmes qui aspirent à des études en philo sont découragées par le style combatif des débats qui fait le propre de la discipline (Martin Alcoff 2013), ou encore par l’image stéréotypique du philosophe à laquelle elles ne correspondront jamais (Langton 2013). Quant à nous, nous ne pensons pas que le « style masculin » de la discipline ne convienne pas à une femme, que les débats de la philosophie soient trop musclés pour elle, ou que cette discipline ne convienne pas à son tempérament (peu importe ce que cela pourrait vouloir dire). Nous refusons d'envisager l'hypothèse d'une incompétence innée, mais nous pensons que d'autres hypothèses méritent qu'on s'y attarde.
Que sont les biais implicites ?
Au contraire, nous pensons que ce sont des facteurs comme la « menace de stéréotypes », qui sont à l’œuvre. La « menace de stéréotypes » survient lorsque la communauté a des biais implicites négatifs à l’endroit d’un groupe spécifique. Qu’est-ce qu’une menace de stéréotype ? Qu’est-ce qu’un biais implicite ? Voici un bref survol de ces notions et d’autres notions liées, que nous empruntons à un article de la philosophe Jennifer Saul (2013) intitulé Implicit Bias, Stereotype Threat and Women in Philosophy5 :
Biais explicite : Il s'agit d'une croyance que l’on abrite consciemment. Exemple : la croyance que les femmes ne sont pas douées pour la philo (cette croyance est très répandue. Si vous êtes sceptiques, on vous suggère de consulter le blog Being a Woman in Philosophy ― attention, il faut avoir les nerfs solides).
Biais implicites : Ce sont des biais inconscients qui affectent la manière dont nous percevons ou évaluons les gens qui sont issus des groupes visés par nos biais. Il peut aussi s’agir d’amalgames ou d’associations inconscientes (les biais implicites n’ont d’ailleurs pas forcément toujours d’effet négatif).
Exemple de biais qui ont des effets négatifs : un biais inconscient qui nous conduit à évaluer plus négativement que ce qu’il mérite le travail effectué par une femme.
Des recherches en psychologie ont révélé au cours des 10 dernières années que la plupart des gens, même ceux et celles qui ont des opinions égalitaires sincères, abritent des stéréotypes implicites contre des groupes comme les Noirs, les femmes, les personnes homosexuelles, trans, et encore d’autres (Saul 2013, p. 40). Ceci est également vrai des personnes qui font partie du groupe en question. Par exemple, des tests ont montré que les femmes et les hommes ont des biais implicites négatifs à l’endroit des femmes (pour faire soi-même ce genre de test gratuitement, c’est par ici.)
Au cas où vous ne seriez pas convaincu-e-s par l’existence des biais implicites, voici quelques faits en vrac (Saul, 2013)…
Pour la tâche qui consiste à associer des adjectifs positifs ou négatifs à des visages blancs ou noirs, la plupart des gens sont plus rapides quand vient le temps d’associer des adjectifs négatifs aux visages noirs.
Les publications scientifiques fonctionnent généralement sous la méthode du peer-review anonyme. Quand le journal Behavioural Ecology a décidé de passer au peer-review anonyme, le pourcentage d’auteures féminines acceptées a grimpé subitement de 33 %.
Dans le cas des CVs, plusieurs études révèlent qu’en France, pour le même CV, on juge que celui qui porte le nom d’un homme est classé comme étant plus pertinent pour l’embauche, son titulaire comme méritant un meilleur salaire, et comme proposant une candidature plus intéressante. D’autres études sont convergentes en ce qui concerne la « race », où les personnes dont les noms sont à consonance occidentale ont plus de rappels que les personnes qui indiquent un nom ne répondant pas à ces « critères » sur leur CV.
Menace de stéréotype : Il s'agit d'une menace vécue consciemment ou inconsciemment qui concerne le fait qu’une personne est au courant de la manière dont est perçue son appartenance à tel groupe, et qui affecte négativement sa performance. Les personnes sont affectées par la menace de stéréotype en vertu du fait qu’elles sont consciemment ou inconsciemment préoccupées par la peur de confirmer les stéréotypes qui « circulent » à l’égard de leur groupe.
Exemple : Le fait pour une femme de savoir que des stéréotypes à propos de son groupe sont entretenus par des professeur-e-s et des étudiant-e-s conduit au fait que la femme performera moins bien. Cela peut être décrit par le cercle vicieux suivant : (1) On entretient à tort des stéréotypes voulant que les femmes soient moins douées que les hommes pour la philosophie ; (2) Les femmes sont au courant que ces stéréotypes sont présents dans leur domaine d’études ; (3) Les femmes sous-performent par rapport à leurs collègues masculins ; (4) Cette sous-performance sert de base à l'adoption d'un biais explicite voulant que les femmes soient moins douées que les hommes dans ce domaine.
C’est là qu’on dit « halte ! ». Si (3) n’est pas un fait naturel et inaltérable, il est permis de penser que des modifications concrètes sur (1), (2) et (3) permettront une sortie du cercle vicieux. Pour le dire simplement, briser les stéréotypes pourra atténuer la menace de stéréotype, ce qui aura pour effet d’augmenter la performance des femmes en philo, de sorte que les raisons qu’on avait de discriminer les femmes sur la base du fait qu’elles seraient moins douées seront réfutées par les faits. Notons que les personnes racisées font également face à la menace de stéréotype. Une femme racisée noire, par exemple, vivra une double menace ; elle sera étiquetée comme étant moins douée en vertu de son genre, et également en vertu de son groupe racial.
La menace de stéréotypes peut avoir des effets très néfastes. En voici quelques exemples (Saul 2013 : 42) :
En situation dite « menaçante », c’est-à-dire dans la situation où un stéréotype est entretenu (consciemment ou non) par des personnes à propos d'autres personnes appartenant à un groupe spécifique, lesquelles sont conscientes de l'existence de ces stéréotypes dans la situation donnée :
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les personnes noires performent moins bien que les personnes blanches à leurs examens sur table.
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les femmes performent moins bien que les hommes en mathématiques.
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les personnes blanches performent moins bien que les personnes noires dans les sports.
Pourtant, quand l’aspect menaçant de la situation est neutralisé, la performance des groupes visés s’améliore drastiquement, au point d’atteindre l’égalité. Les contextes des situations « menaçantes » et des situations où la menace est neutralisée sont évidemment à étudier et à méditer. Des études montrent que parfois, le simple fait de stimuler visuellement les membres d’un groupe particulier en lui montrant des graphiques qui lui rappellent sa sous-représentation dans tel domaine suffit à créer une situation menaçante qui fera baisser la performance des personnes. L’exemple paradigmatique des fillettes qui sous-performent en mathématiques est très parlant : il a été montré que si l’on demande à des fillettes de colorier des dessins montrant des poupées, juste avant un test de mathématiques, elles seront systématiquement moins performantes que des fillettes à qui l’on n’aurait pas demandé de colorier ces images au préalable (Steele, citée dans Saul 2013 : 42). Dans la plupart des cas, néanmoins, la seule habitude de vivre dans une société qui comporte certaines inégalités ou dont les politiques sont tendanciellement inégalitaires (parce qu'elles favorisent toujours les mêmes groupes, par exemple, sans être ouvertement sexistes ni racistes) suffit à créer une situation menaçante. À la lumière de cela, il est primordial d’envisager des situations où la menace est neutralisée. Cela n’est pas une tâche facile, mais c’est une tâche qu’il est réellement possible d’accomplir.
La manifestation des biais implicites en philosophie
Les étudiantes femmes seront probablement en minorité dans leur département de philo, et certainement dans des classes où les stéréotypes font que les sujets philosophiques sont typiquement associés aux hommes. Au vu de ces données, vous pouvez être certaine qu’à mesure que vous gravissez les échelons dans vos études, vous serez de moins en moins représentée. Vous serez en minorité dans toutes ces classes sauf peut-être celles sur le féminisme (!).
Voyons quelques exemples de la manière dont les biais implicites peuvent avoir des effets dramatiques sur le parcours des femmes (et de toute personne marginalisée) en philosophie, en créant des situations où la menace de stéréotype est présente :
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Dans tous ses cours, l’étudiante se retrouve confrontée à un syllabus constitué presque exclusivement d’ouvrages écrits par des hommes (à l’exception classique de Simone de Beauvoir ou Hannah Arendt, qui font monter la moyenne de 0 à 2 % d’auteures féminines si jamais vous faites de la philo sociale ou politique !).
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Il est permis de penser qu’à la lecture de copies similaires, les professeur-e-s auront tendance à évaluer plus négativement celles écrites par des femmes.
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Au niveau des cycles supérieurs, les superviseur-e-s auront tendance à encourager les hommes à publier davantage ou à faire plus de communications.
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Les lettres de références seront parfois plus faibles pour les femmes que pour les hommes. De grandes maladresses issues de biais implicites sont parfois décelées dans les lettres faites pour les femmes.
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Si les femmes veulent publier dans une revue scientifique qui n’a pas de processus de révision anonyme, et si elles veulent postuler pour un emploi et que leur candidature n’est pas initialement anonymisée, elles ont beaucoup moins de chance que les hommes. À voir les ratios d’embauches dont on parlait plus tôt…
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Si par chance (ou par erreur !) une femme était embauchée dans un département de philosophie, elle continuerait de faire les frais des biais implicites, mais avec de nouveaux défis en prime : consultation avec des étudiants qui dévaluent son autorité ou sa compétence et qui s’attendent à ce qu’elle soit compréhensive. Si elle est autoritaire et juste, on dira d’elle qu’elle exagère et pas qu’elle commande le respect. On considère que si elles font preuve du même leadership que leurs collègues masculins, les femmes sont perçues comme étant bossy, bitch ou dominatrices, alors que ces traits sont spécifiquement valorisés chez les hommes. On retrouve d’ailleurs cela dans de très nombreux domaines académiques et professionnels.
Vous aurez donc des difficultés à atteindre un niveau de performance similaire à celui de vos collègues masculins dans un univers ponctué de biais implicites et y mettrez plus d’efforts que ces derniers. Il est difficile pour les hommes de voir que la sous-représentation des femmes n’est pas due à l’incompétence qu’on leur attribue inconsciemment. La sous-représentation est renforcée par les biais implicites et la menace de stéréotypes. Ces problèmes, à l'origine d'un cercle vicieux, doivent être regardés en face par les philosophes. Ils appellent une action concrète, sur la base de préoccupations sincères pour 1) l’équité ou 2) la pratique philosophique et son potentiel d’enrichissement en tant que tels. Si les biais ont les effets que nous leur attribuons dans le domaine de la philosophie, alors le travail des femmes est jugé injustement, ce qui conduit au fait que des philosophes femmes talentueuses, dont vous faites peut-être partie, ne sont pas encouragées à continuer, ne reçoivent pas de bourses, n’ont pas d’emplois, ne sont pas lues, etc. Qui plus est, vous ne disposez pas des outils, ni du contexte, pour réaliser de la philo aussi « reconnue » que si on vous mettait le vent dans les voiles comme on le fait pour les hommes. Comme le souligne Jennifer Saul :
« Un bon moyen d’en finir avec les stéréotypes est de s’assurer que les gens sont exposés à d’excellentes chercheuses en philosophie. Il y a plusieurs façons de s’y prendre : s’assurer d’inviter des conférencières aux conférences départementales ; inclure les femmes aux ouvrages choisis en classe ; afficher des images de femmes philosophes sur le site web du département et sur les murs. Ces formes d’actions aideront à briser les stéréotypes en plus de contrecarrer les effets de ces stéréotypes sur le coup. Premièrement, ces actions aideront à s’assurer que le travail des femmes n’est pas ignoré, comme c’est généralement le cas en raison des biais implicites. Deuxièmement, ces actions contribueront à créer des situations où la menace de stéréotype est moins forte » (Saul, 2013, notre traduction).
Les pistes de solutions
On vous noircit le tableau, pensez-vous ? C’est vrai qu’on décrit le négatif, on insiste sur ce qui pose problème, on met en évidence des détails difficiles, on vous présente les obstacles. Mais c’est une première étape pour que ça bouge. Au début de la création de Fillosophie, le département de philosophie de notre université a été… chamboulé, dirons-nous. Évidemment : on était en train de secouer un système bien en place dans ses inégalités, presque légitime dans ses discours discriminants, on remettait en question une situation ancrée dans les cultures et les mentalités, on contredisait le bien-fondé de la petite maison tranquille des philosophes : ces gens qui réfléchissent aux vraies choses et qui n’ont certainement pas besoin qu’un groupe de « petites bourgeoises capricieuses » viennent leur apprendre la vie.
En parler
La première solution, c’est d’en parler. Plusieurs d’entre nous ont été soulagées de voir que d’autres vivaient le même malaise et se sont senties soutenues. La solidarité peut naitre tranquillement et permettre une division des charges. Le travail fourni pour la cause, tant de sensibilisation que de mise en place de stratégies concrètes, ne peut se faire seule. Déjà parce que la charge est colossale. Aussi parce que le nombre donne souvent une légitimité aux revendications. Et le modèle, encore une fois. Si une personne que vous admirez s’engage dans un combat, vous allez peut-être devenir moins réticent-e aux causes du combat en question. C’est ce qui s’est passé (lentement…) au département de philo. Quelques prof-e-s ont commencé à soutenir la cause et ont servi d’exemple aux autres. Ça, c’est notre interprétation, certains vous diront peut-être qu’ils y ont toujours été favorables. Quoi qu’il en soit, les réticents ou les antiféministes, s’ils sont toujours là, se savent non légitimes. Cette solidarité est importante dans les moments d’action mais aussi dans ceux de relâchement, pendant lesquels on a besoin de “ventiler”, d’être comprise, soutenue, et surtout de savoir que quelqu’un-e va prendre le relai.
La non-mixité et les safe spaces
Une des pistes à explorer lorsqu’on est un groupe minorisé est celle de la non-mixité. C’est dans ces regroupements entre femmes que certaines d’entre nous ont pu se sentir en sécurité. Le safe space, comme on l’appelle, permet de se retrouver entre femmes – ou entre personnes d’autres groupes minorisés, vivant une discrimination commune – et de se savoir entourée. On se rend compte que d’autres vivent et ressentent des pressions et des difficultés similaires, que certaines ont pu trouver des solutions pour des problèmes auxquels on ne parvient pas soi-même à faire face, et vice-versa. Le safe space fait en sorte qu’on puisse parler librement sans avoir à se demander comment le discours va être perçu par certains membres du groupe dominant qui, bien que pas nécessairement sexistes, ont parfois l’impression que les revendications des féministes sont des attaques contre la masculinité (*soupir*). Pour éviter les not all men ! (« c’est pas tous les hommes ! ») », « je ne suis pas sexiste, mais… » ou autres « le féminisme c’est dépassé », voire « pourquoi ça t’a mise mal à l’aise ? », se retrouver entre nous est parfois reposant et nécessaire. C’est aussi dans ce genre de contexte que les activités militantes (et pas seulement) vont pouvoir se mettre en place, dans un climat sans pression.
Fillosophie
C’est comme ça qu’on a commencé à créer Fillosophie. Quelque part à l'automne 2013, les femmes du département ont été conviées à une réunion. Sarah y est allée sans trop savoir de quoi il en retournait, encore assez peu sensibilisée aux enjeux de genre, notamment dans son environnement d’études. Plusieurs femmes étaient là, étudiantes et profes. Beaucoup s’attendaient à un genre de safe space justement, pour pouvoir parler de la situation des femmes en philo, des possibles solutions, etc. Chacune s’est présentée et a dit pourquoi elle était là. Le besoin de se regrouper est revenu souvent. Puis, la réunion a été modérée par une représentante d’un institut qui s’est contentée de présenter un programme d’étude en recherche féministe ouvert aux étudiant-e-s de philo. Pourquoi n’étions-nous que des femmes alors ? Clientèle-cible des études féministes, notre pseudo-expertise en affaires liées au féminisme nous valait désormais d’être invitées à participer à ce club exclusif où l’on pouvait s’adonner toute entière à ce qui avait été notre moyen de perdurer dans un milieu hostile aux femmes. Que faire de toutes ces attentes prononcées en début de réunion ? C’est avec un sentiment à la fois d’urgence et d’échec que Sarah est sortie de cette réunion. La situation est problématique, l’heure est grave et personne ne fait rien. Que faire ? Par chance, d’autres avaient ressenti le même malaise et ne se sont pas contentées de rentrer chez elles le cœur gros.
Marina, une étudiante en philo qui était présente aussi, a écrit à Sarah et quelques autres qu’elle connaissait ou qu'elle avait croisées dans le département, quelques jours après la réunion catastrophique. Elle faisait état de son malaise et se demandait si certaines voudraient se retrouver autour d’un café pour discuter de la situation. C’était vague, mais tellement soulageant ! Nous nous sommes réunies à cinq, dès le lendemain : Marina, Clélia, Aline, Raphaëlle et Sarah. Nous avons envisagé différentes solutions pour tenter de mettre en avant la place et l’image des femmes dans notre département. C’est là que l’idée d’organiser des conférences données par des femmes nous est apparue comme une première piste de solution possible : une sorte de plateforme pour la philosophie faite par des philosophes femmes. On a pris rendez-vous avec les professeures femmes du département. Elles étaient quatre à l’époque et ont été d’une grande aide.
L’une d’elles, notamment, est encore là aujourd’hui et nous soutient presque inconditionnellement. On allait créer une plateforme pour les femmes, qui ne les confinerait pas au rôle exclusif de féministes. La tribune n’allait pas être une tribune de sensibilisation. On allait plutôt prendre les grands moyens pour influencer notre domaine en faisant ce qui nous intéressait : de la philosophie.
On s’est réunies plusieurs fois toutes les cinq, pour trouver un nom, savoir comment procéder, qui contacter, comment préparer une conférence, etc. La machine s’est mise en marche avec pour seul moteur notre volonté. La première conférence a eu lieu le 5 février 2014. Marina s’est portée volontaire pour être la conférencière. On a réservé une salle, on s’est arrangées pour avoir du café, et on a contacté le département de philo, étudiant-e-s et professeur-e-s, pour les convier à l’événement. Une bonne quinzaine de personnes s’est prêtée au jeu. La deuxième conférence a eu lieu en mars. Sarah présentait. La troisième en avril. Ce fut au tour de Clélia. Petit à petit, on a construit la structure qui nous a fait arriver là où on est aujourd’hui : un site internet, une page Facebook, du financement, un réseau, et on en passe…
Aujourd’hui, Fillosophie, c’est huit étudiantes, tous cycles d’études confondus, qui contribuent activement et constamment à la valorisation du travail des femmes en philosophie. Les conférences présentent les travaux de chercheuses du Canada, des États-Unis et de l’Europe, et les sujets traités sont choisis par les conférencières, qui sont des étudiantes aux cycles supérieurs ou des professeures/chercheuses au niveau universitaire ou collégial. Gratuites et ouvertes à tou-te-s, les conférences réunissent en moyenne une cinquantaine de personnes : des philosophes, des étudiant-e-s, professeur-e-s et chercheurs/chercheuses en d’autres domaines, ainsi que des personnes extérieures à l’université. Elles donnent une visibilité aux recherches des conférencières et permettant un retour constructif sur leur travail grâce à la présence de leurs collègues. Suite à leur présentation, certaines conférencières ont reformulé des parties importantes d’un mémoire, d’une thèse ou d’un article scientifique, car les questions qui ont suivi les présentations ont donné lieu à des débats très constructifs.
À l’heure où l’on écrit ces lignes, nous avons déjà organisé 32 conférences. Nous avons également été présentes dans différents congrès professionnels, à titre d’invitées : au congrès annuel de la Société de Philosophie du Québec à l’ACFAS, où nous avons parlé de la façon de promouvoir la place des femmes en philosophie, et au Congrès International des Recherches Féministes dans la Francophonie (CIRFF) en 2015. Nous avons été invitées au premier Colloque philosophique pour les étudiant-e-s du niveau secondaire, le Colloque Philo-Cité du Pensionnat Saint-Nom-de-Marie, pour parler d’injustice épistémique en lien avec les femmes. Nous pouvons également compter sur le soutien financier du Département de philosophie de l’UQAM, de la Société de Philosophie du Québec, du Canadian Journal of Philosophy, et avons été finalistes du Concours provincial québécois Forces Avenir en 2017 et en 2018. Nous avons également reçu une invitation à participer au CIRFF à l’Université Paris-Nanterre à l’été 2018. Venez nous y écouter !
En mettant en relief le travail de femmes, nos conférences servent à montrer aux étudiantes que leur place en philosophie est légitime et primordiale : ce milieu majoritairement masculin a besoin de leur persévérance pour devenir une communauté éclairée et stimulante. Si l’on se rapporte à notre schéma de la Figure 5, Fillosophie peut agir sur les trois derniers leviers, soit le climat, la militance et le travail.
Au-delà de ses retombées concrètes, Fillosophie, c’est aussi une sorte de bulle où l’on peut se retrouver entre nous. C’est un endroit où l’on n’a pas à prouver, à expliquer ou à justifier notre expérience quotidienne par rapport aux enjeux étudiés ici. C’est un endroit où l’on sait, où l’on se comprend et où l’on se soutient. Fillosophie, c’est parfois une aventure difficile, ambiguë, éprouvante. C’est un espace de frictions et de remise en question, c’est un lieu où l'on apprend à travailler sans hiérarchie, où l’on tente de créer un espace de travail idéal et sans contraintes, où la réalité nous rattrape parfois. C’est un groupe où les membres sont fatiguées mais résilientes, un lieu où elles tentent de surmonter leurs divergences d’opinion par l’écoute et le respect. On a appris au fil du temps qu’il est difficile de voir des membres arriver, puis repartir. Comment interpréter le départ des membres ? Avons-nous fait quelque chose de mal ? Sommes-nous assez inclusives ? Évoluons-nous dans un safe space ? Le niveau personnel et individuel prend-il le pas sur les bienfaits de l’organisation ? Chacune porte sa lutte en elle et tente de conjuguer ses tactiques à celles des autres, sans imposer de vision, sans parler plus fort. Les questions sont nombreuses et les réponses ne viennent pas toujours spontanément.
Récemment, avec les autres membres, on s’est posé la question de la représentativité de Fillosophie. Est-ce que Fillosophie est trop blanche ? Assurément. Est-ce que Fillosophie est accueillante et suffisamment inclusive pour les personnes trans ? On souhaite mettre sur pied une réflexion par rapport à ces problématiques et l'on souhaite également s’instruire sur des terminologies et des tactiques qui se dessinent pour des luttes auxquelles elles n’étaient pas initialement destinées. Peut-être pourrions-nous voir sous peu une transformation dans notre nom… on peut penser à quelque chose comme « Fillosophie et compagnie » (!), pour inclure d’emblée dans notre groupe des personnes qui ne s’inscrivent pas dans la catégorie rigide du genre qui a motivé initialement le nom Fillosophie. Il faut également se plier à l’exercice de travail sur soi que nous attendons nous-mêmes de la part quiconque appartient au milieu philosophique, et considérer que notre groupe doit représenter un espace où les personnes de couleur, les personnes trans, les personnes neuroatypiques et encore d’autres, ont leur place. Pour cela, il faut favoriser la diversité de nos conférencières et de nos membres. Ce travail est tellement simple et tellement délicat à la fois. Ce que l’on désire enfin souligner, c’est qu’on ne pense pas que Fillosophie a pensé à tout. On ne pense pas que Fillosophie a la bonne réponse, ou que le groupe est exemplaire, qu’il n’a plus rien à apprendre ou à améliorer. Fillosophie, c’est grandir de ses erreurs, c’est être résilientes, c’est aussi écouter et apprendre à réfléchir ensemble.
La création d’un groupe
Fillosophie est la piste de solution à laquelle on a pensé et qu’on a mise en place. On peut vous livrer quelques autres « trucs » qui nous semblent pouvoir faire une différence efficace dans certains cas. D’abord, si vous vous êtes réunies, même une ou deux fois, il peut être utile de constituer un groupe. Non seulement pour être ralliées à une cause par un nom, mais surtout pour utiliser ce nom dans certaines de vos revendications ou communications. Ça peut vous éviter de vous faire reconnaitre en tant qu’individu (lorsque, par exemple, vous militez dans votre département où les profs connaissent votre nom, vous notent, vous évaluent, etc.) et de vous faire étiqueter sans arrêt comme la féministe de service à qui on va venir demander des comptes. Vos revendications sont une chose, votre travail en est une autre. En tous cas, pour les autres. Ça vous permet aussi éventuellement d’être présente sur plusieurs fronts et, pourquoi pas, de vous engager dans plusieurs causes.
La prise en compte de l’intersectionnalité
À ce propos, une réflexion sur l’intersectionnalité nous apparait nécessaire en tant que membres d’un groupe qui revendique certains droits. En effet, il peut être utile, voire nécessaire, de se questionner sur les autres mouvements de lutte et de savoir que certaines personnes se trouvent doublement, voire triplement marginalisées ou discriminées parce qu’elles appartiennent à d’autres minorités. Pour commencer, il est bon de se questionner sur nos pratiques : notre groupe est-il suffisamment diversifié pour que plusieurs voix puissent être entendues et s’exprimer librement ? Nous sommes au fait de ce qu’est le sexisme, mais qu’en est-il du racisme, du capacitisme, des discriminations liées à l’orientation sexuelle ? Que pouvons-nous changer et améliorer pour être conscientes et conscientiser ? Ouvrir la porte et l’oreille à ces éléments est essentiel. Cela peut aussi être favorisé en invitant des personnes marginalisées à prendre la parole dans notre milieu, ou en invitant les personnes issues de ces groupes prendre la place qu'elles désirent dans notre projet. Fillosophie est une tribune et une manière de faire de la philosophie qui doit être représentative de la diversité de perspectives qui sont susceptibles d'enrichir sa pratique. Cette diversité est ignorée par le système académique philosophique, et il est de notre responsabilité de lui donner la visibilité qu'elle mérite.
L’allègement de la charge ou la demande de reconnaissance
À un certain point, la charge est lourde. Le travail est difficile et prend le dessus sur ce que vous avez à faire ou voudriez faire. Étant donnée toute la charge que le travail de sensibilisation et de mobilisation représente, il est parfois difficile de garder du temps pour soi. Lorsqu’on est très mobilisée, on est aussi souvent sollicitée, puisqu’on devient « experte ». Tous les « petits travaux » à faire concernant la sensibilisation, l’aide, la rédaction de tracts, l’appel pour un projet féministe, la mise en place d’une discussion, l’organisation de plateformes d’échange, la modération de groupes internet, etc. nous reviennent souvent ! Dans ces cas-là, une première chose à faire est de voir si vous pouvez en faire un peu moins, en vous tournant vers vos allié-e-s. Une seconde est de demander rémunération lorsque vous jugez cela pertinent. Il arrive qu’un-e prof-e ou un-e chercheur-e nous sollicite pour effectuer une tâche liée à nos revendications. Dans ces cas-là, on se pose la question de savoir si c’est un travail qui peut permettre un prix, une rémunération, un financement, ou même un défraiement. Et il est tout à fait légitime de poser la question à la personne qui nous sollicite.
La rémunération
Et finalement, même quand on ne nous sollicite pas, il est parfois utile de demander rémunération. C’est le cas par exemple si vous vous mettez à demander à ce qu’on féminise les plans de cours et le site de votre département et qu’on vous répond que personne n’a le temps pour un tel travail. S’il se trouve que vous l’avez, vous, ce temps, cela peut être une bonne idée de demander un contrat de travail pour la mise en place d’une telle chose. Les plans de cours sont pleins d’hommes blancs morts ? Et si vous aviez la possibilité de suggérer une liste d’auteur-e-s « non canoniques » à votre département grâce à un contrat de recherche ? Évidemment, il y a peu de chance qu’on vous approche, mais peut-être y a-t-il des prof-e-s que vous pensez soucieux-soucieuses de la cause et à qui vous pourriez parler de ce projet ? C’est là qu’il est important aussi de savoir qui sont vos allié-e-s et vos allié-e-s potentiel-le-s, quel que soit votre milieu de travail et de revendication.