Après avoir étudié l’écrit qui donne à voir le genre grammatical – en marquant le sexe des locuteurs –, et plus particulièrement les normes d’écritures inclusives qui « offrent » de la visibilité au genre féminin, nous nous sommes questionné sur les éléments qui indiquent le sexe des locuteurs dans la langue orale, puis leur genre.
La notion de performance du genre proposée par Butler a été centrale dans notre étude. Si le sexe est souvent vu comme biologique, le genre est en évolution du fait de son actualisation lors des interactions. Nous nous sommes intéressé aux stéréotypes et aux représentations sociales que les performances de genre langagières / interactionnelles éveillent chez des locuteurs qui écoutent ces productions. Nous avons interrogé des locuteurs féministes, qui ont a priori une réflexion sur les identités genrées, et des lycéens de banlieue, plus « neutres ». Nous leur avons fait écouter six voix choisies pour leurs différences de marquage du genre, allant du féminin plus masculin au masculin plus féminin. Après ces écoutes, nous avons mené des entretiens semi-directifs. Le but était de faire émerger des stéréotypes et des représentations sociales à propos des locuteurs entendus et des caractéristiques des « parlers des femmes » et des « parlers des hommes », dans un premier temps sans question directe, puis en orientant clairement les locuteurs.
Les locuteurs que nous avons interrogés, féministes comme lycéens, émettent des stéréotypes communs sur ces « parlers ». Ces stéréotypes correspondent aux attentes sociales sur les comportements généraux des hommes et des femmes : douceur et gentillesse pour les unes, force et présence pour les autres. Concernant la voix, les femmes parleraient de manière plus douce et plus aigüe, quand les hommes parleraient plus fort, avec une voix grave. L’usage d’insultes et de mots crus semble être associé au masculin, exception faite pour les « filles des quartiers ».
Lors de l’inversion sexe / genre dans la production de parole, dans le cas des hommes parlant de façon féminine et des femmes parlant de façon masculine, des différences nettes s’établissent. Parler de manière féminine pour les hommes serait signe d’homosexualité. Pour les femmes, cela se justifie par l’origine socio-spatiale selon les lycéens, là où les féministes projettent une forme d’insécurité face à la norme masculine des espaces urbain ou langagier. Nous pouvons rapprocher ces deux représentations sociales de la « masculinisation du parler des femmes ». En effet, les femmes de ces « cités » se retrouvent entourées par des normes masculines dans les milieux urbains défavorisés où elles vivent ; les féministes, dans les situations de confrontation aux normes masculines comme les réunions (associatives ou professionnelles) et dans l’espace public. Les femmes utiliseraient la performance du genre masculin par la parole comme un outil par le biais duquel elles peuvent reprendre possession des espaces physiques (espace public) ou abstraits (prise de parole). Ainsi, à défaut d’un parler commun aux femmes que les premières recherches linguistiques sur les différences de production entre les sexes montrent, nos locuteurs mettent en avant des stratégies interactionnelles de performance du genre communes aux femmes, face à la domination des hommes.