L’enseignement-apprentissage du Français comme une Langue Etrangère (FLE) se caractérise par l’hétérogénéité de ses situations pédagogiques. Mais ses ressources didactiques comportent aussi des marques de subjectivité qui sont propres à leur contexte de production. C’est pour déceler les marques d’une politique de genre à l’œuvre dans les manuels de FLE que cette recherche a été entreprise.
Partant d’une conceptualisation du genre comme un discours non-déclaré (Maurer 2002), didactiquement transposé comme une idéologie (Verdelhan-Bourgade 2002), trois manuels de FLE pour adultes allophones ont servi de corpus : Alter Ego+1 (Hachette FLE), Nouveau Rond-Point 1 (Maison des Langues), Echo 2e édition (Clé International). Le modèle d’analyse articule approche quantifiée et qualitative, et porte sur trois types de représentations : les personnages, l’hétérosexualité comme part structurelle du genre (Wittig 2001), et le modèle métalinguistique, c’est-à-dire le genre comme un genre dans la langue (Michard 2003).
Si les clichés ouvertement sexistes se font rares, la répétition de processus de stigmatisation du non-masculin, sous-jacents au discours didactique général, produit un système hiérarchisé de représentations et de discours. La mise en scène des personnages, des relations familiales et amoureuses, ainsi que la masculinisation du langage, bien qu’organisées de manières variées, construisent une domination masculine. Les apprenant·e·s sont amené·e·s, pour résoudre les activités, à reconnaître une catégorisation sexuée binaire et hétéro-sexuelle naturalisée, à répondre à ce système et à s’y inscrire, se conformer à un modèle de sexualité hétérosexuel et occidental comme seul possible des catégories sexuées et des relations.
Articuler l’analyse des manuels aux entretiens menés auprès de leurs auteur·e·s et maisons d’édition a permis de re-contextualiser socialement les manuels. L’ensemble des discours recueillis, dans leur contenu aussi bien que dans leur forme, avec les hésitations, les silences, la perplexité des personnes devant l’objet de recherche, montre que le genre reste un impensé dans la conception. Le genre dans les manuels est plutôt le résultat informel de tensions personnelles, sociales, commerciales, éthiques, économiques.
Analyses d’entretiens et de manuels se répondent pour construire une politique de genre fondée sur un modèle de domination masculine, hétérosexiste, blanche. Les résultats s’alignent sur les propos de Cognini et Vecchi (2014) qui réaffirment la dimension politique de l’ensemble de l’enseignement-apprentissage en disant qu’alors qu’on croit faire du culturel et du linguistique, on fait de la transmission de genre.
Cette approche sociodidactique montre que les rapports sociaux, les tensions politiques et idéologiques traversent la didactique des langues. Elle appelle à une redéfinition de l’épistémologie et des enjeux de la discipline, qui prenne en compte les dynamiques de pouvoir qui la forment.